La maison aux enfants, les bijoux à la soeur, le chandail signé par Maurice Richard au frère et les comptes de banque à partager parmi la famille. Avant le grand départ, plusieurs auront planifié leur héritage, mais le compte Facebook, lui ?

LÉGUER SON PETIT BOUT D'INTERNET

C'est lors d'une visite chez sa mère, en 2011, que l'entrepreneur techno québécois Daniel Robichaud a constaté qu'il y avait un problème avec la montée en popularité de l'internet.

« Elle était en train de numériser des photos de famille et de les envoyer sur Picasa, raconte-t-il. Et elle a eu un accident d'auto. Rien de grave, mais j'ai réalisé que si ça avait été plus grave, je n'aurais possiblement jamais su qu'elle avait ce compte Picasa avec toutes nos photos. »

Il fut un temps où recenser ses actifs et s'assurer de leur redistribution une fois écoulée notre dernière heure était chose plutôt simple, chicanes de famille mises à part.

Ce n'est plus le cas. Pour y remédier, M. Robichaud a créé Forever Alive, un logiciel de transmission de mots de passe qui est ensuite devenu PasswordBox. Intel a fini par acheter son entreprise il y a quelques mois.

« Plus l'internet sera utilisé à des fins "sérieuses", plus ces questions vont se retrouver dans les bureaux de notaire au moment de planifier des successions », prévoit le notaire Bertrand Salvas, qui a publié l'an dernier un essai sur la question dans un bulletin d'information consacré au droit et aux technologies de l'information.

Actuellement, l'enjeu de la transmission des actifs virtuels après le décès reste encore essentiellement théorique pour les notaires, convient M. Salvas. « Je n'ai pas l'impression que c'est très fréquent pour le moment. Pour les notaires, je ne crois pas qu'il faut nécessairement le faire dans tous les cas, mais il faut à tout le moins l'inclure dans notre série de questions. »

C'est particulièrement vrai pour les détenteurs de comptes virtuels auxquels sont associés des actifs tangibles : un compte PayPal, un compte de poker en ligne ou de jeux vidéo doté d'un solde ou encore des espaces infonuagiques dans lesquels sont entreposés des documents importants.

« C'est important pour les gens qui vivent de droits d'auteur, entre autres, comme des musiciens ou des écrivains, qui pourraient avoir des créations entreposées sur internet, note M. Salvas. Elles pourraient avoir une valeur. »

DE SIMPLE À COMPLIQUÉ

Au Québec, la loi ne fait aucune différence entre un actif tangible et un actif virtuel. Tous les droits, que ce soit pour une voiture ou un compte Twitter bien fréquenté, peuvent être légués à un héritier ou à un liquidateur.

En pratique, toutefois, les choses peuvent se compliquer rapidement. Les contrats auxquels acquiescent en un clin d'oeil les utilisateurs de la plupart des services offerts sur l'internet prévoient expressément que personne d'autre qu'eux ne peut utiliser leur compte, même après leur mort.

« Quand on fait affaire avec des entités situées à l'extérieur du Québec, ça se complique, observe M. Salvas. On est alors pris dans une confrontation entre le caractère obligatoire de la loi et ses difficultés d'application. Compte tenu des frais d'avocats qui en découleraient, il faudrait vraiment qu'il y ait quelque chose de valeur en jeu. »

La plupart des services offrent déjà une procédure permettant d'effacer le contenu d'un compte ou de le transférer à une personne désignée, à défaut de permettre la cession pure et simple du compte (voir autres onglets).

Ces procédures sont relativement simples, mais nécessitent néanmoins des échanges de paperasse (acte de décès, pièce d'identité, procuration, etc.) et restreignent les capacités de la personne désignée.

Voilà pourquoi il vaut peut-être mieux prévoir la transmission de ses mots de passe en cas de décès. Cela pourrait éviter à la succession une multitude de procédures et limiter les risques d'oublier un compte important.

Au Québec, on commence même à voir apparaître des solutions toutes désignées. L'étude de notaires Prud'homme Fontaine Dolan, de Boucherville, a par exemple lancé en novembre dernier son « coffre-fort virtuel », un fichier sécurisé permettant à ses clients d'entreposer une foule d'informations personnelles, dont les mots de passe de leurs comptes de réseaux sociaux, de leur banque, de leurs adresses de courriel ou de leurs ordinateurs.

« Nous avons des clients qui sont entrepreneurs, administrateurs ou fiduciaires », explique Louis Vincent, notaire et directeur général de l'étude. « Ils n'avaient pas un endroit où ils pouvaient conserver une copie à jour de tous leurs renseignements. »

DEUX EXEMPLES À SUIVRE

Les géants du web, Facebook et Google, offrent différentes options à leurs utilisateurs en cas de décès. Survol de solutions utiles à connaître avant de partir...

FACEBOOK

Le plus populaire des réseaux sociaux a inauguré la semaine dernière au Canada le concept de « contact légataire », qu'elle avait introduit aux États-Unis en février dernier. Le Canada est le deuxième pays à en bénéficier.

Depuis quelques jours, donc, les utilisateurs de Facebook peuvent se rendre dans les paramètres de leur compte, sous l'onglet « Sécurité », et désigner un de leurs « amis » Facebook à qui seront attribués certains pouvoirs après leur mort.

L'entreprise offrait déjà depuis un moment la possibilité de transformer le profil d'une personne morte en un « compte de commémoration ». La manoeuvre figeait en quelque sorte la page de la personne morte.

C'est toujours vrai, mais le contact légataire désigné peut maintenant y apporter certaines modifications (voir encadré). Fait à noter, cette personne ne reçoit pas les coordonnées de connexion du défunt, mais verra simplement de nouvelles options apparaître après s'être connectée sous sa propre identité.

Il est également possible pour un utilisateur Facebook de demander à ce que son profil soit supprimé à sa mort.

Les pouvoirs du contact légataire :

• Accepter de nouvelles demandes d'amitié

• Changer les photos de profil et de couverture

• Écrire un message qui restera au haut de la page de la personne morte, par exemple pour préciser le moment et le lieu des cérémonies

• Télécharger une archive de tout le contenu du profil (photos, vidéos, messages), à l'exception des messages



GOOGLE


Google a lancé son « gestionnaire de comptes inactifs » il y a près de deux ans.

Contrairement à presque toutes les autres solutions, celui-ci ne nécessite aucune intervention extérieure pour signaler votre mort. Les volontés de l'utilisateur se réalisent au terme d'une période d'inactivité déterminée par celui-ci, qui peut aller de 3 à 18 mois. Un avis lui est d'abord envoyé afin d'éviter les cas où l'inactivité serait légitime.

L'utilisateur peut désigner jusqu'à 10 personnes qui seront alors avisées par message texte de l'inactivité de son compte. Il peut aussi permettre à chacune d'elles de télécharger l'ensemble de son compte Google ou seulement des contenus spécifiques (vidéos YouTube, courriels Gmail, photos, calendriers, profil Google+, contacts, fichiers entreposés, etc.).

Finalement, l'utilisateur peut aussi programmer la suppression de son compte.

DES POLITIQUES À AMÉLIORER

Les services suivants disposent d'une politique en cas de décès d'un de leurs usagers, mais elles ne sont pas aussi bien conçues que celles de Facebook ou Google.

MICROSOFT

L'entreprise de Redmond est l'une des rares à faciliter le transfert de données puisées dans les comptes d'une personne décédée. La « procédure pour parents proches » ne semble toutefois concerner que ses services de courriel, offerts sous diverses désignations (Hotmail, Outlook.com, Live.com, MSN.com, etc.). Tout le contenu du compte peut alors être expédié par DVD à un proche « après un bref processus de vérification ». L'entreprise a été incapable de nous fournir des informations sur les autres types de comptes qu'elle offre, notamment le service d'entreposage SkyDrive ou celui de jeu en ligne Xbox Live.

INSTAGRAM

Propriété de Facebook, Instagram ne bénéficie pas encore de la fonction de « contact légataire » récemment introduite, mais permet, comme Facebook, de transformer le profil d'une personne décédée en page commémorative ou de simplement le supprimer. Les profils commémoratifs sont exclus des outils de recommandations, pour éviter que les proches ne revivent des souvenirs difficiles en voyant apparaître une photo du défunt.

YAHOO!

L'accès au compte du défunt ou le transfert de son contenu sont interdits, prend bien la peine de mentionner l'entreprise. Seule la clôture du compte du défunt est permise. Pour ce faire, il faut acheminer une demande écrite accompagnée d'un certificat de décès et d'une procuration.

APPLE

Le contrat d'utilisation que souscrivent les utilisateurs du service iCloud stipule clairement l'« absence de transmission en cas de décès ». « Vous acceptez que votre compte soit incessible et que tous les droits liés à votre identifiant Apple ou contenu dans le cadre de votre compte soient résiliés au moment de votre décès, peut-on lire. Dès réception d'une copie d'un certificat de décès, votre compte pourra être résilié et l'intégralité du contenu de votre compte pourra être supprimée. »

PAYPAL

Il est permis pour un exécuteur testamentaire d'exiger la fermeture d'un compte PayPal. Il lui faudra alors acheminer par télécopieur : 

• Une copie du certificat de décès

• Une copie du testament ou d'un autre document légal qui désigne l'exécuteur

• Une pièce d'identité de l'exécuteur

Les fonds qui pourraient être encore dans le compte seront transmis à l'aide d'un chèque au nom du défunt.

PARTAGER LA MORT

« Il y a eu les crieurs publics, les journaux, les radios locales, et maintenant, c'est internet. »

Pour Julia Duchastel, vice-présidente développement d'Alfred Dallaire Memoria, l'évolution est normale. « Comme dans tous les domaines, il y a eu un changement dans les moyens de diffusion. »

Chose certaine, la popularité des avis de décès ne se dément pas, y compris sur l'internet et sur d'autres plateformes numériques. Après le lancement de La Presse+, d'où ils étaient originalement absents, l'ajout des avis de décès constituait l'une des demandes les plus fréquentes. Tant chez Urgel Bourgie que chez Alfred Dallaire Memoria, on confirme que les avis de décès constituent la grande majorité de l'achalandage du site internet de l'entreprise.

Le numérique commence aussi à faire sa place dans les rituels funéraires eux-mêmes.

« Nous avons une salle de montage et une équipe multimédia », confie par exemple Mme Duchastel. Celle-ci est chargée de la production de montages vidéo élaborés à partir de séquences ou de photos du défunt.

De plus en plus de salons funéraires s'équipent aussi de caméras web qui permettent à des membres de la famille vivant à l'étranger de participer à distance aux cérémonies.

Et bien qu'on la dise elle-même inévitable, la mort n'échappe pas à l'omniprésente mode des égoportraits !

« C'est arrivé spontanément dans une cérémonie récemment, des jeunes se sont pris en photo ensemble et nous ont demandé si on pouvait les imprimer pour les laisser dans le cercueil, raconte Mme Duchastel. On l'a fait, on s'adapte. C'est bon pour intégrer les enfants au processus. »