Quand cette étudiante ougandaise a découvert que des photos volées la représentant dénudée circulaient sur l'internet, elle a pris peur: allait-elle tomber sous le coup de la nouvelle loi antipornographie?

Effondrée, humiliée, la victime s'est tournée vers un avocat, Gerald Abila, qui depuis deux ans investit les réseaux sociaux pour apporter une aide juridique gratuite à des milliers d'Ougandais.

«Elle se cachait, rongée par la honte et en même temps par peur de poursuites», raconte l'avocat à l'AFP.

Le cas de cette jeune fille, dont il tait le nom, est loin d'être isolé: la confusion est immense dans son pays d'Afrique de l'Est depuis la promulgation, en 2013, d'une loi antipornographie aux termes vagues.

Mais à tous ceux qui contactent son association d'aide juridique, il répond qu'il est possible de faire arrêter les coupables.

Gerald Abila a créé son association, Barefoot Law (Justice aux pieds nus), en 2013.

Au départ, l'avocat, aujourd'hui âgé de 32 ans, donnait, seul, des conseils via les réseaux sociaux et Skype à partir de son téléphone intelligent.

Depuis, Barefoot Law a remporté des prix, et a enrôlé huit autres avocats bénévoles, qui comme lui offrent une partie de leur temps libre pour aider les Ougandais à décrypter la loi antipornographie ou toute autre législation peu accessible.

L'équipe a mis en place une application pour téléphone intelligent, et répond par courriels, textos, ou appels vocaux à tous ceux qui l'interrogent.

Le site internet de l'association, barefootlaw.org, propose aussi un code du travail et une Constitution décryptés, ainsi qu'un exemple de testament à télécharger gratuitement.

La Constitution, dit Gerald Abila, devrait être aussi lue que la Bible, voire plus: «Elle vous donne vos droits sur terre, les livres religieux vous donnent vos droits au ciel».

Barefoot Law s'adresse aux civils, mais aussi aux forces de police, pas toujours très au fait de la loi, dit l'avocat.

Attaquées pour une mini-jupe

Dans le cas de la loi antipornographie, le ministre ougandais de l'Éthique et de l'Intégrité, Simon Lokodo, affirmait par exemple partout que des femmes en mini-jupe courraient le risque de se faire arrêter.

La loi ne dit rien de tel. Mais l'an dernier, Barefoot Law recevait jusqu'à 200 questions par jour de personnes inquiètes de la portée du texte, notamment de femmes qui s'étaient fait arracher leurs vêtements parce qu'elles portaient des mini-jupes.

Selon lui, la loi antipornographie, que les gens interprétaient à leur guise, avait ouvert «une boîte de Pandore».

Un jour, Barefoot Law a partagé en ligne l'expérience d'une jeune femme en mini-jupe attaquée par un gang sans que la police n'intervienne. En une heure, 7000 personnes avaient consulté le lien.

Barefoot Law s'est donné pour mission d'aider les victimes d'interprétations abusives de la loi, mais aussi de mettre en garde tous ceux qui décideraient d'adapter la loi à leur sauce: ils risquent des poursuites.

Aujourd'hui, l'association reçoit une centaine de questions juridiques par jour.

Certaines virent parfois à l'absurde:

«Les animaux peuvent-ils faire l'objet d'arrestations?», leur a-t-il ainsi été demandé un jour, quand deux personnes avaient été arrêtées avec des porcelets qu'elles avaient introduits au Parlement lors d'une manifestation anticorruption.

Dans les parties les plus reculées du pays, les avocats de Barefoot Law offrent aussi des conseils à la radio.

«La population a tendance à parler de la "justice de la foule", mais on voudrait que la population croie en la justice», explique Gerald Abila. Et il entend bien restaurer cette confiance des Ougandais dans leur système judiciaire.

En septembre, l'avocat a reçu une récompense de l'American Bar Association, l'association des avocats américains. En janvier, Barefoot Law a été cette fois distingué au Nigeria.

«Nous avons changé les mentalités sur de nombreux sujets», dit fièrement Gerald Abila. «Certains veulent même aller étudier le droit maintenant».