Le streaming s'impose de plus en plus comme la nouvelle façon d'écouter de la musique, notamment en France, mais des interrogations subsistent sur la viabilité économique du modèle, selon Marc Bourreau, professeur d'économie à l'école d'ingénieurs Telecom ParisTech et spécialiste de l'économie de la musique.

Q: Comment le streaming s'est-il imposé?

R: «Dans la musique numérique, on a d'abord observé l'apparition de plateformes de téléchargement comme iTunes, associée à l'iPod (le baladeur d'Apple, 2001). C'était le téléchargement à l'acte: au lieu d'acheter son CD, on achetait soit l'album numérique soit des morceaux à l'unité. Ce modèle a eu son succès mais est en ralentissement depuis environ un an. Un autre modèle a pris le relais: le streaming, dans lequel les consommateurs, au lieu de posséder la musique, ont accès à un catalogue. Cela s'inscrit dans un mouvement plus large que la musique: on le voit dans la consommation de films, des jeux vidéo mais aussi par exemple avec la possibilité de prendre une Autolib' dans les rues de Paris plutôt que s'acheter une voiture. On est dans le modèle de l'accès, on n'est plus dans le modèle de la possession.»

Q: Concrètement, qu'offre le streaming aujourd'hui?

R: «Les plateformes de streaming (comme Spotify, Deezer, etc.) ont adopté un business model 'freemium': avec un service de base proposé gratuitement qui génère des revenus essentiellement publicitaires. Le consommateur a accès au service de façon gratuite et de temps en temps, l'écoute est interrompue par des messages publicitaires. Ce modèle permet de développer une appétence pour ce type de service pour éventuellement ensuite souscrire un abonnement. Dans le système payant, on paie généralement environ 10 euros ou 10 dollars pour un abonnement mensuel à une dizaine de millions de titres. La différence, c'est qu'on n'a plus la publicité, on a généralement une meilleure qualité audio et on peut mettre les morceaux sur son téléphone ou autre appareil et les écouter sans être connecté.»

Q: Ce modèle peut-il, comme l'espèrent les producteurs, sauver l'économie musicale?

R: «À mon avis, c'est le modèle qui va s'imposer, mais c'est un modèle qui a encore des défis à relever. Il y a deux problématiques, c'est amener les gens vers ces plateformes de streaming, car il y a encore du piratage, et ensuite les convertir en consommateur 'premium'. On estime aujourd'hui qu'un tiers des utilisateurs des plateformes sont abonnés. L'un des défis, c'est celui de l'équilibre économique des plateformes de streaming elles-mêmes: aujourd'hui, elles ne sont pas rentables. Concernant les maisons de disques, elles auront du mal à retrouver l'âge d'or du CD mais le streaming est quand même un modèle qui permet de faire payer les consommateurs. Cela offre aussi des perspectives pour les petits labels de se faire une place plus importante qu'à l'époque du CD.»