Google peine à composer avec les retombées pratiques d'un jugement-choc de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) l'obligeant à limiter les résultats de son célèbre moteur de recherche au nom du «droit à l'oubli».

L'entreprise est assaillie par des demandes de particuliers qui réclament le retrait de liens de référencement problématiques à leurs yeux. Près de 150 000 requêtes de cette nature ont été reçues depuis que le tribunal s'est prononcé en mai.

Un demi-million de liens de référencement associés à ces demandes ont été examinés par le personnel de Google, qui a accepté d'en désindexer 41,6%, selon un nouveau bilan.

Ces retraits s'appliquent uniquement lorsque la recherche est effectuée par l'entremise des versions européennes du moteur de recherche - par exemple google.fr - en raison de la juridiction de la CJUE.

Une femme a notamment obtenu qu'un vieil article évoquant l'assassinat de son mari ne soit plus référencé lorsque son nom est entré dans le moteur de recherche.

Dans un document diffusé en ligne pour expliquer sa démarche, Google relève que les demandes sont évaluées «au cas par cas».

«Nous regardons si les résultats contiennent des informations obsolètes ou incorrectes sur la personne. Nous regardons également si les informations que nous conservons dans nos résultats de recherche sont d'intérêt public ou non, si elles sont associées à des escroqueries financières, à des fautes professionnelles, à des condamnations en justice ou aux actions publiques de représentants du gouvernement», relèvent les auteurs.

Le géant de l'internet, qui dit vouloir procéder avec transparence, a lancé en septembre une tournée consultative à travers l'Europe dans le but d'énoncer plus précisément sa politique de gestion des demandes de retrait.

Un comité d'experts a été formé pour réfléchir à la problématique et guider l'entreprise, qui affirme vouloir trouver un juste équilibre «entre le droit des personnes à l'oubli et le droit à l'information du public».

Une boîte de Pandore

Les difficultés de Google découlent de l'action d'un ressortissant espagnol, Mario Consteja González, qui lui demandait de ne plus référencer deux articles datant de 1998. Ils faisaient état du fait que la maison de l'homme avait été vendue aux enchères en raison de dettes de sécurité sociale impayées.

La CJUE lui a finalement donné raison en relevant que le moteur de recherche peut «dans certaines conditions» être contraint de retirer des liens de référencement. Des critères comme le temps écoulé depuis l'événement mentionné ainsi que le niveau d'intérêt de l'information pour le public ont notamment été évoqués.

L'un des fondateurs de Wikipédia, Jimmy Wales, qui participe au comité d'experts de l'entreprise, a prévenu que le caractère plutôt flou du jugement rendrait la tâche de Google pratiquement impossible.

Reporters sans frontières a affirmé de son côté que la CJUE ouvrait une véritable «boîte de Pandore» en obligeant les moteurs de recherche à gérer des demandes de ce type.

Les décisions de déréférencement ont une «portée éditoriale», relève l'organisation, qui s'inquiète de voir des opérateurs privés hériter de la responsabilité de juger «si les résultats de recherche ont un intérêt public».

Pierre Trudel, un spécialiste du droit des médias et des technologies de l'information rattaché à l'Université de Montréal, souligne qu'il revient normalement à un juge de «décider qu'une information doit être supprimée de l'espace public».

Le nombre et la nature des demandes reçues à ce jour par Google témoignent de l'impact potentiel du «droit de censure» reconnu par le tribunal européen, souligne l'analyste, qui dénonce le caractère «liberticide» du jugement.

En chiffres

1000

Nombre approximatif de nouvelles demandes de déréférencement reçues quotidiennement par Google

150

Nombre de collaborateurs mobilisés par l'entreprise pour gérer les demandes