Du DVD livré à domicile au «gavage» de séries sur appareils mobiles: en 17 ans, Netflix a révolutionné plusieurs fois l'industrie audiovisuelle ainsi que le rapport des Américains au cinéma et à la télévision.

Netflix a d'abord quasi «tué» les magasins de DVD traditionnels, avec son «catalogue immense et si simple à utiliser», souligne Robert Thompson, professeur de culture populaire à l'Université de Syracuse, dans l'État de New York.

Les abonnés de Netflix peuvent en effet visionner un nombre illimité de DVD par mois, livrés dans leur boîte aux lettres, et renvoyés à l'aide d'une simple enveloppe rouge pré-affranchie.

Paradoxalement pour une entreprise internet moderne, Netflix s'est d'abord appuyée «sur la plus vieille technologie possible: la poste!», ironise M. Thompson.

La société de Los Gatos, en Californie, a aussi prouvé qu'elle était un caméléon capable de se transformer à la vitesse grand V, et a su surfer sur la vague du streaming, ou visionnage de vidéo en flux sur internet.

Son concurrent Hulu.com et de multiples autres plateformes offraient déjà ce genre de services, mais le groupe dirigé et cofondé par Reed Hastings a apporté ce concept à ses millions d'abonnés, ce qui lui permet notamment de s'exporter à l'international plus facilement, comme il le fait actuellement en Europe.

Accompagné d'une autre révolution, celle des appareils mobiles, le streaming a ainsi marginalisé à la fois le téléviseur et les DVD.

«Il y a maintenant une multiplicité de façons de regarder des séries, sur le téléviseur, mais aussi sur les tablettes électroniques, les téléphones portables, les ordinateurs», constate Jeff Kagan, analyste technologique indépendant.

«Netflix permet aux consommateurs de regarder des séries où ils veulent et quand ils veulent» et non plus selon un horaire imposé par les chaînes de télé, ajoute-t-il.

Le catalogue de streaming du groupe au logo rouge et blanc reste toutefois à ce jour très inférieur à celui dont il dispose en DVD, et il s'est retrouvé en concurrence à la fois avec Hulu, le magasin en ligne Amazon ou encore le géant internet Google qui ont développé massivement leur offre de contenus numériques. Sans parler de la montée du téléchargement illégal.

Boulimie de séries

Netflix a alors pris un autre virage pour séduire plus d'abonnés, ou retenir ceux qui auraient trouvé l'herbe plus verte ailleurs: il est passé à la production, en faisant le pari de la qualité, sur les traces des chaînes câblées à péage comme HBO ou Showtime.

Quand David Fincher, le réalisateur de Fight Club, Seven ou The Social Network, faisait le tour des chaînes câblées pour vendre un projet d'adaptation américaine d'une série politique britannique, Netflix a fait un pari audacieux pour emporter la mise: il ne produirait pas juste un épisode pilote, ni même une saison entière, mais directement deux saisons.

Avec, en prime, un acteur lauréat de deux Oscars dans le rôle titre: Kevin Spacey.

«Ils ont fait le même pari de qualité et d'engagement avec les actrices quasi inconnues d'Orange Is The New Black», comédie sur la vie de femmes en prison, «et les deux séries sont géniales», constate Tom Nunan, qui enseigne à l'UCLA School of Theater, Film and Television.

«Ils ont compris qu'il suffisait d'une ou deux séries pour gagner des abonnés. Beaucoup de gens se sont abonnés à HBO la première fois pour regarder Les Soprano ou Sex and the City», remarque Robert Thompson.

Netflix a alors innové en mettant directement à la disposition de ses clients non pas un épisode par semaine, comme toutes les chaînes jusqu'alors, mais toute une saison d'un coup.

«Ils ont permis aux spectateurs de regarder toute une saison nouvelle d'un seul coup, en un week-end», ce que les Américains appellent le "gavage télévisuel"», fait valoir Tom Nunan. Jusqu'à présent, le «gavage télévisuel» était réservé aux séries vieilles d'au moins une saison.

Pour les experts, c'est dans le contenu que se joue à présent la bataille de l'audiovisuel: «Amazon, Google, Netflix, et même les réseaux traditionnels comme NBC et CBS, essaient tous de se diversifier dans la distribution de contenus», conclut Robert Thompson.