La Turquie accueille depuis mardi à Istanbul le 9e forum de l'ONU sur la gouvernance d'internet en position d'accusée, quelques mois après le blocage des réseaux sociaux qui en a fait l'un des pays les plus répressifs sur le «web».

Dès l'ouverture des débats, le gouvernement islamo-conservateur d'Ankara, hôte de ce sommet qui doit réunir pendant quatre jours quelque 2.500 délégués (gouvernements, entreprises, ONG), a essuyé les critiques de nombreux intervenants.

Sans jamais citer la Turquie, le secrétaire général adjoint des Nations unies Thomas Gass a ouvert le bal pour regretter qu'«internet ait fait l'objet d'interdictions dans différents pays» et dénonçant la «censure» qui y sévit en général.

«La gouvernance d'internet doit s'appuyer sur des principes qui protègent les libertés en ligne et assurent l'accès de tous», a-t-il ajouté.

En termes tout aussi diplomatiques, la sous-secrétaire d'État américaine Catherine Novelli a souligné que son pays continuait à «discuter avec (Ankara) de l'importance de l'ouverture» et s'est réjouie de «la décision de la Cour constitutionnelle turque de lever les interdictions» imposées par les autorités.

En mars dernier, à la veille d'élections locales cruciales, le premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, aujourd'hui président, avait ordonné le blocage de Twitter et YouTube, accusés de colporter des accusations de corruption qui ont éclaboussé son régime.

Au nom de la protection du droit à la vie privée, son gouvernement a fait voter dans la foulée une nouvelle loi renforçant le contrôle administratif des contenus d'internet, largement qualifiée de «liberticide».

Saisie par l'opposition, la plus haute juridiction turque, la Cour constitutionnelle, a jugé ces mesures illégales et ordonné leur levée quelques semaines plus tard.

Mais de nombreuses voix ont rappelé mardi que les internautes turcs étaient toujours la cible des autorités. Le mois dernier encore, le nouveau président Erdogan s'est plu à répéter tout le mal qu'il pensait des réseaux sociaux en comparant Twitter au «couteau dans les mains d'un meurtrier».

Internautes poursuivis 

«Le parti au pouvoir a répondu aux critiques en renforçant la censure d'internet et en poursuivant les utilisateurs des réseaux sociaux», a dénoncé Cynthia Wong, de Human Rights Watch (HRW), «les délégués à ce forum ne doivent pas passer sous silence la vision très restrictive de la Turquie en matière de droits sur internet».

Hasard du calendrier judiciaire turc, ce forum s'ouvre au moment où 29 Turcs sont poursuivis par un tribunal d'Izmir (ouest) pour avoir relayé des appels à manifester pendant la grande fronde antigouvernementale qui a agité la Turquie en juin 2013.

Accusés d'«incitation à violer la loi», ils risquent de se voir infliger une peine de trois ans de prison.

Face à ce tir de barrage, les représentants du gouvernement ont tenté d'esquiver la controverse.

Le président de l'autorité gouvernementale des télécommunications (BTK), Tayfun Acarer, s'est félicité, chiffres à l'appui, de la démocratisation de l'accès à internet. «La fracture numérique s'est réduite», s'est-il contenté de noter.

Le ministre des Télécommunications Lutfi Elvan a, quant à lui, insisté sur la nécessaire surveillance des autoroutes de l'information. «Soit nous parvenons à unir nos forces pour contribuer à un avenir meilleur, soit nous allons créer une plateforme qui permet aux crimes de proliférer», a mis en garde M. Elvan.

Une préoccupation partagée par son collègue russe Rachid Ismaïlov, dont le pays est aussi épinglé pour ses restrictions à l'usage d'internet et qui a plaidé pour un équilibre entre «la protection des droits de l'Homme et la sécurité sur internet».

«L'intérêt de ce type d'événement est de rappeler à la Turquie que si elle veut faire partie des pays qui respectent la liberté d'expression et la liberté sur internet, elle doit modifier ses pratiques, et le faire très rapidement», a indiqué à l'AFP le représentant d'Amnesty International en Turquie, Andrew Gardner.