En Chine, géants de l'internet et assureurs rivalisent d'astuce pour contourner les règles strictes encadrant les paris sportifs dans le pays, désireux d'engranger une partie des milliards que miseront les fans de football durant la Coupe du monde... souvent illégalement.

Les jeux d'argent sont interdits par Pékin, sauf lorsqu'ils sont gérés par le gouvernement ou que leurs profits sont reversés à des oeuvres de charité; mais les mastodontes du web local Alibaba et Tencent se sont opportunément associés aux loteries officielles locales pour proposer des paris sur les matchs.

Les deux groupes ont lancé des applications spécifiques pour téléphones intelligents, dont le succès a été fulgurant: on s'attend à ce qu'elles enregistrent des mises dépassant 10 milliards de yuans au total (1,7 milliard de dollars) sur l'ensemble de la compétition.

Un niveau très supérieur aux 2,3 milliards de yuans de paris légaux enregistrés lors de la phase finale de la Coupe du monde sud-africaine en 2010.

«C'est bien plus facile de miser avec son téléphone, plutôt que d'aller faire la queue pour acheter un billet dans une boutique de paris», commente Li Qiang, habitant de Shanghai.

«Parier, c'est notre seule façon de participer», ironise-t-il, se désolant des piètres performances de l'équipe chinoise, au 103e rang mondial au classement de la FIFA.

Assurance «consolation» 

Ni Tencent ni Alibaba ne possèdent de licence de jeu, mais les deux entreprises sont rémunérées pour leur rôle d'intermédiaire, offrant une plateforme en ligne aux loteries des gouvernements provinciaux, qui, elles, proposent des paris sportifs en toute légalité.

En touchant un plus large public (500 millions de Chinois naviguent sur le web via leur téléphone intelligent) et en réalisant d'agressives campagnes publicitaires, les deux géants du web ont fait fortement gonfler le pactole des paris et bénéficient largement de la manne.

Alibaba, numéro un chinois du commerce électronique, prend ainsi une commission de 7 % sur les sommes pariées via ses sites, selon le Quotidien de la Jeunesse de Pékin. Le groupe, tout comme Tencent, a refusé de répondre à l'AFP.

Si les applications mobiles prospèrent avec l'assentiment des autorités, les compagnies d'assurance, en revanche, ont rapidement vu s'évanouir leurs espoirs de profiter du Mondial.

La compagnie An Cheng avait créé une assurance «coeur brisé» pour «consoler» les partisans voyant perdre leur équipe favorite: l'idée était de leur offrir alors des crédits sur une plateforme de vente en ligne.

Mais le mécanisme permettait du coup de parier de façon détournée sur l'échec de certaines équipes... Les régulateurs ont finalement ordonné la semaine dernière la suspension de ces «produits d'assurance liés aux jeux».

Paris clandestins et blanchiment 

De l'avis des experts, si les paris légaux s'envolent, bien plus d'argent encore sera engagé dans des paris clandestins - via des sites hors-la-loi qui proposent des cotes plus attrayantes et permettent de parier à crédit.

Selon une enquête du journal sportif chinois Titan, pas moins de 500 milliards de yuans (environ 85,7 milliards de dollars) ont été dépensés - jeux légaux et illégaux confondus - pendant la Coupe du monde 2006 en Allemagne, soit environ 2 % du PIB chinois.

Vu l'ampleur de la demande, les restrictions officielles ont encouragé l'essor d'alternatives illégales «difficiles à réguler», explique à l'AFP Wang Xuehong, expert sur le sujet à l'Université de Pékin.

Avec des ramifications étendues: le Centre international pour la sécurité du sport (ICSS), basé à Doha, a récemment estimé que les organisations criminelles asiatiques blanchissaient chaque année plus de 140 milliards de dollars grâce aux paris sportifs illégaux - en grande partie ceux des joueurs chinois.

En mai, la police de Shanghai a arrêté 63 personnes impliquées dans un réseau illégal de jeux en ligne, par lequel plus de 113 milliards de yuans auraient transité.

Cette fièvre nationale pour les paris sportifs peut aussi s'avérer fatale: un étudiant s'est suicidé la semaine dernière sur un campus du Guangdong, après avoir perdu près de 2400 euros dans des paris, incapable de rembourser l'argent qu'il avait emprunté pour jouer.

«Il devrait y avoir des mesures de sensibilisation sur les risques d'addiction», déplore Huang Guihai, professeur associé à l'Institut polytechnique de Macao. «Les règles favorisent casinos et loteries d'État, mais ils ne sont qu'un service de divertissement conçu pour faire du profit.»