Trop loin, trop dispersé, trop peu peuplé, le petit village de Löwenstedt, au nord de l'Allemagne, n'intéressait aucun opérateur internet. Ses habitants ont donc décidé de prendre leur destin numérique en main et de se cotiser pour s'installer le haut débit.

«Vraiment super», «sans comparaison». Dans le bureau de son entreprise de matériel agricole et de jardinage, Peter Kock ne se lasse pas de tester la vitesse d'internet sur son écran. Ce qu'il mettait presque deux heures à télécharger avec son ancien débit de 384 kilobits/seconde apparaît désormais en 30 secondes. Maintenant qu'il peut, grâce à ce débit 200 fois plus élevé, rapidement vérifier la disponibilité de pièces de rechange, «les clients en profitent aussi», raconte-t-il.

Entre les éoliennes et les champs, à une trentaine de kilomètres de la frontière du Danemark, les maisons en brique aux jardins fleuris de Löwenstedt se déploient sur 200 hectares... pour seulement 640 habitants. Avec 22 kilomètres de câble nécessaire, «nous n'aurions jamais trouvé une entreprise nous connectant à la fibre optique», admet Holger Jensen, le maire de la commune.

Ce constat fait dès 2009 avec 58 autres communes de Frise-du-Nord a fait naître l'idée de se regrouper pour mettre à contribution localités, entreprises et particuliers afin d'accéder à une modernité, trop souvent privilège des villes.

Sur le mur du débarras de M. Kock, deux petits boîtiers blancs, d'où sortent des câbles jaunes reliés à sa box. Dessus est inscrit BBNG, du nom de la «société du réseau haut débit citoyen» créée en 2012 pour collecter les fonds et construire les réseaux de fibre optique. Aujourd'hui, l'entreprise de cinq employés a rassemblé plus de 2,5 millions d'euros de fonds propres grâce à 925 sociétaires, chacun ayant mis au minimum 1.000 euros au pot, explique Ute Gabriel-Boucsein, sa responsable.

Le luxe de la ville à la campagne 

À Löwenstedt, la solidarité a joué à plein. Comme 94% des habitants, Peter Kock s'est engagé en amont à s'abonner à la fibre optique. Il a aussi investi 5000 euros dans la BBNG. Ses parents de 76 et 73 ans, qui habitent en face, 1000 euros. Ils perçoivent désormais des intérêts grâce à la location au fournisseur internet TNG du réseau achevé en mars pour un coût de 800 000 euros.

«Nous sommes trop petits, sans cette initiative, nous aurions été oubliés», insiste M. Kock, rassuré qu'à l'avenir ses parents puissent profiter des avantages de la télémédecine et autre avancée technologique en réseau facilitant le maintien des personnes âgées à leur domicile.

«Vivre à la campagne avec le luxe de la ville», voilà ce dont se réjouit le maire Holger Jensen, également agriculteur, que l'internet très haut débit va aider à gérer son troupeau de vaches.

Les bénéfices mis en avant par les habitants de Löwenstedt sont nombreux: freiner l'exode des jeunes vers la ville, conserver les entreprises, soutenir le prix de l'immobilier, rendre plus attractives les locations saisonnières de cette zone proche des belles côtes de la mer du Nord.

Mais pour l'instant, seul ce village a réussi le pari de faire appel à la solidarité pour se doter d'un internet à au moins 50 mégabits/seconde. Dans les autres communes de l'initiative, la collecte de fonds s'avère longue et laborieuse.

«Au moins 68% des foyers d'un village doivent s'engager (à s'abonner) avant que nous ne lancions les travaux», explique Mme Gabriel-Boucsein, épaulée par des bénévoles pour convaincre les habitants.

Fin 2013, seule 18% de l'Allemagne avait un débit internet supérieur à 10 mégabits (contre 12% en France), d'après la société Akamai. Le gouvernement a promis au pays au moins 50 Mbits/s d'ici 2018. Mais «ils ne disent pas comment ils veulent y arriver», réagit Mme Gabriel-Boucsein, persuadée que Löwenstedt serait de toute façon resté exclu de cet eldorado numérique.