Embrassant les magnifiques contreforts de l'Himalaya depuis les fenêtres de son bureau, le rédacteur en chef du «Bhutanese» suit sur ordinateur le flot d'informations mondiales qui lui parviennent par internet. «Le Bhoutan est en train de sauter de l'âge féodal à la modernité sans passer par l'âge industriel», constate, dans un anglais impeccable, Tenzing Lamsang.

«En 30 ou 40 ans ce pays pourrait accomplir une évolution qui aura pris un siècle ailleurs!», prévoit le rédacteur-en-chef de cet hebdomadaire d'investigation.

Niché entre la Chine et l'Inde, le petit État himalayen du Bhoutan s'est volontairement privé pendant des décennies des moyens de communication modernes afin de sauvegarder sa culture, et n'a autorisé la télévision et internet qu'en 1999.

Trois quarts des habitants sont abonnés

Aujourd'hui plus de 550 000 abonnés sont référencés par les deux opérateurs mobile du pays, soit les trois quarts des 750 000 Bhoutanais, selon les statistiques officielles.

Dans les rues animées de la capitale Thimphou, où tuniques traditionnelles, robes bouddhistes safran et vêtements occidentaux se croisent dans un joyeux mélange, les jeunes gens ont tous un téléphone portable.

La plupart utilisent de simples modèles vocaux mais certains disposent de smartphones avec une connexion internet, de marques chinoises et indiennes peu connues en Occident, avec aussi quelques Samsung sud-coréens.

Ouverture au monde du pays du Dragon-Tonnerre

Les parents de Kiran Rasaily, boucher dans la capitale, habitent dans le sud, une de ces zones rurales où les routes goudronnées sont encore rares, bien loin d'une capitale en chantier hérissée d'échafaudages en bambou. Ils ont pourtant déjà leur téléphone portable. «Ils ne sont pas beaucoup allés à l'école quand ils étaient petits, mais ils savent utiliser un mobile et en sont très contents!», sourit Kiran, 32 ans.

Le téléphone portable et internet incarnent l'ouverture au monde engagée par la monarchie à la fin du siècle dernier. Une évolution aussi politique avec l'adoption d'un système parlementaire puis, l'an passé, la première alternance démocratique de l'histoire du pays du Dragon-Tonnerre.

Arrivé au pouvoir à la faveur de cette transition pacifique, le premier ministre Tshering Tobgay s'est félicité de cette évolution lors d'un entretien accordé à l'AFP. «La technologie (...) est une bonne chose et peut contribuer à la prospérité du Bhoutan».

«Les téléphones cellulaires ont commencé à s'imposer il y a une dizaine d'années. Nous les avons adoptés avec succès et aujourd'hui presque tout le monde en a un», se réjouit M. Tobgay, le crâne rasé et le corps enveloppé d'un gho orange, la tenue traditionnelle.

Le Bonheur National Brut

Selon lui, l'usage des nouvelles technologies s'inscrit dans le projet du Bhoutan «de prendre le meilleur des traditions, du présent et de l'avenir», illustré dernièrement par l'appui des autorités aux voitures électriques et la promesse d'une agriculture 100% biologique.

L'emploi de technologies «propres» enrichit en effet le «bonheur national brut», cet indice de développement intégrant des dimensions environnementales et culturelles qui a fait la renommée internationale du pays: le Bhoutan cherche une voie et un rythme d'industrialisation différents de l'urbanisation à marche forcée empruntée dans d'autres nations d'Asie avec son cortège de pollution et nuisances.

Le chef du gouvernement est lui-même très actif sur le réseau social Facebook, où il est suivi par près de 25.000 personnes. Il y diffuse quantité d'informations et de photos sur ses activités officielles, du menu détaillé servi dans un restaurant de village à sa rencontre avec l'icône politique birmane Aung San Suu Kyi.

Facebook au Bhoutan

L'usage de cette plate-forme d'échange en ligne est déjà très répandu au Bhoutan, avec environ 80.000 comptes Facebook. Des pages personnelles, mais aussi divers forums de discussion sur la recherche d'emplois, la culture ou la politique.

«Ici comme ailleurs, internet sert non seulement aux gens à se parler sur des forums, mais aussi à se créer une conscience politique, à faire campagne sur divers problèmes ou à faire pression sur le gouvernement: il a un rôle largement positif sur la société», souligne le journaliste Tenzing Lamsang.

«Les Bhoutanais connaissent mieux le monde extérieur depuis qu'internet est arrivé», se réjouit Jigme Tamang, employé au Norling Cyber World, le plus ancien cybercafé du pays.

Peu de foyers disposant d'une liaison internet à domicile, les cybercafés ont pullulé ces dernières années à Thimphou.

«La meilleure saison pour nous, c'est lorsque les étudiants viennent s'inscrire dans les universités étrangères», détaille Jigme, 24 ans, qui s'inquiète toutefois pour son travail. Car comme dans les pays développés, la montée en puissance des téléphones intelligents grignote déjà la clientèle des cybercafés.

Le Bhoutan comptait une centaine de milliers d'abonnés à la connexion mobile GPRS et une vingtaine de milliers à la 3G en 2012, soit environ un abonné pour six habitants.

«Avec mon smartphone connecté à internet, je peux communiquer avec mes cousins au Népal», explique fièrement Suraj Biswa, un lycéen de 18 ans originaire du sud du Bhoutan.