Rendez-vous au plus haut niveau, réactions en série : entre inquiétude et pragmatisme, le monde du cinéma et de l'audiovisuel se prépare activement à l'arrivée en France du groupe américain de vidéo en ligne Netflix, prévue à l'automne.

Alors que se précise un lancement en France, évoqué depuis plusieurs mois, la ministre de la Culture Aurélie Filippetti a reçu lundi des dirigeants de la plateforme de vidéo à la demande par abonnement sur internet (SVOD), qui diffuse films et séries, dont certaines auto-produites telles que la célèbre «House of Cards».

Après des rendez-vous ces derniers mois à Bercy ou à l'Élysée, le secrétaire général de Netflix, David Hyman, et le responsable des affaires publiques du groupe, Christopher Libertelli, ont aussi rencontré lundi le président du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), Olivier Schrameck.

«La décision de Netflix d'aborder le marché français est prise», dit-on au ministère de la Culture.

Pour la ministre, «il n'est pas question de leur fermer la porte, mais de les sensibiliser à l'intérêt pour eux de participer à notre écosystème».

«Netflix a vraiment tout intérêt à être coopératif avec le monde du cinéma et de l'audiovisuel français» car «il a besoin de contenus locaux pour développer une offre susceptible de plaire au public français», a-t-elle souligné lundi.

Conscient de cette nécessité, Netflix voudrait même commander une série originale française pour la diffuser auprès de ses abonnés dans l'Hexagone, et aurait contacté en ce sens de nombreux producteurs, selon le site internet de BFM Business vendredi.

Né à la fin des années 90 comme un simple service de location de DVD par correspondance, Netflix, qui comptait 44 millions d'abonnés dans le monde fin 2013 et est déjà présent dans certains pays d'Europe -au Royaume-Uni, en Irlande, aux Pays-Bas et dans les pays scandinaves-, fait cependant peur aux professionnels français de l'audiovisuel et du cinéma.

«Concurrence déloyale»

Au coeur des inquiétudes: la question de la participation de Netflix au financement de la création audiovisuelle en France. Les acteurs du secteur redoutent en effet que la plateforme, qui n'a toujours pas tranché si elle opérerait depuis la France ou le Luxembourg --où se trouve son siège européen--, ne choisisse le Grand Duché. Elle ne serait ainsi pas soumise aux obligations de financement et de quotas d'oeuvres françaises que doivent respecter les chaînes de télévision, mais aussi les services de médias audiovisuels à la demande (SMAD) dans l'Hexagone.

L'Union des producteurs de films (UPF) a écrit lundi à Aurélie Filippetti pour lui demander de rester ferme face à l'arrivée d'une «concurrence frontale autant que déloyale», tandis que les cinéastes de l'ARP ont indiqué que Netflix était «bienvenu en France» à condition qu'il «ne brade ni nos oeuvres ni nos règles collectives».

Quant à la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), elle a appelé à une «réforme nécessaire de la réglementation française et européenne» pour faire face à l'arrivée du groupe américain. Elle plaide notamment, tout comme la ministre, pour que les opérateurs se voient désormais appliquer les règles du pays où leurs services sont proposés, et non plus de celui où ils sont établis.

Du côté des chaînes de télévision, l'inquiétude est forte aussi. L'impact pourrait être lourd notamment pour certaines chaînes payantes dont l'offre repose largement sur le cinéma ou les séries, comme Canal+ et OCS.

Mais, si les chaînes se préparent en développant leurs propres offres de vidéo à la demande, les trois principaux groupes privés de télévision, TF1, Canal+ et M6, en ont aussi profité pour appeler la ministre, dans une lettre commune mi-février, à alléger face à la concurrence la réglementation qui pèse sur les diffuseurs.

Des propositions qui ne sont pas du goût de tous. «L'arrivée de Netflix nous oblige à repenser notre système», souligne Florence Gastaud, déléguée générale de l'ARP. «Mais on ne voudrait pas que ce soit l'occasion d'une dérégulation».