Un fournisseur Internet ontarien devra dévoiler à un producteur de cinéma le nom et l'adresse d'environ 2000 clients soupçonnés d'avoir téléchargé des films américains en ligne.

La Cour fédérale force l'entreprise TekSavvy à identifier les clients qui auraient téléchargé des films de Voltage Pictures, producteur notamment de Dallas Buyers Club, Démineur et Don Jon. Ces clients du fournisseur TekSavvy pourraient donc recevoir une lettre de Voltage Pictures les menaçant d'une poursuite judiciaire.

En vertu de la Loi canadienne sur le droit d'auteur, amendée en 2012, une violation non commerciale est passible de dommages-intérêts de 100 $ à 5000 $.

L'avocat de la maison de production, James Zibarras, a indiqué qu'«il incombera maintenant aux tribunaux de décider des pénalités appropriées».

«Il est clair que les gens sont presque devenus habitués à télécharger gratuitement des films, et ce, à très grande échelle. (...) Et quand quelqu'un tente de mettre un terme à cette pratique, les gens veulent trouver des arguments pour leur permettre de continuer», a indiqué Me Zibarras, qui a salué le jugement «équilibré» de la Cour fédérale.

Mais si le tribunal tranche en faveur de Voltage Pictures dans ses efforts de traquer des fraudeurs, la Cour fédérale tente aussi de protéger les usagers innocents contre tout recours à des méthodes «inappropriées» par la compagnie pour faire respecter ses droits. Le juge Kevin Aalto souligne que certains éléments de preuve laissent croire que Voltage Pictures aurait pu avoir des «motifs illégitimes» en se lançant dans cette poursuite, mais que cette preuve est insuffisante pour déterminer si ce fut bel et bien le cas.

Il a par ailleurs exigé que Voltage Pictures comparaisse à nouveau en cour pour qu'on examine le libellé de la lettre que l'entreprise veut envoyer aux présumés fraudeurs, afin de s'assurer qu'aucune formulation inappropriée n'y figure. Toute correspondance acheminée à ces clients de TekSavvy devra clairement établir qu'aucun tribunal n'a encore déterminé s'ils ont enfreint la loi, et qu'ils ne sont pas tenus de verser maintenant des dommages-intérêts, a écrit le juge Aalto.

Selon le magistrat, cette décision respecte l'équilibre entre les droits des usagers d'Internet - qui auraient téléchargé des oeuvres protégées - et les droits d'auteur de Voltage Pictures sur ces oeuvres.

Voltage devra par ailleurs payer les frais encourus par TekSavvy pour identifier les clients visés par le producteur, en plus des frais juridiques encourus par le fournisseur Internet.

La Clinique d'intérêt public et de politique d'Internet du Canada, qui était intervenante au dossier, s'est dite «assez satisfaite» du jugement. Mais le groupe de recherche sur le droit et les nouvelles technologies ne voit pas l'intérêt financier de Voltage à poursuivre maintenant les présumés contrevenants, puisqu'elle devra d'abord payer des frais «appréciables» à TekSavvy.

David Fewer, directeur de cet organisme, ne croit pas, à la lecture du jugement de la Cour fédérale, que les tribunaux imposeront la peine maximale prévue par la loi - jusqu'à 5000 $. «Si Voltage demande des dommages-intérêts supérieurs au minimum (100 $), je pense que le tribunal va leur rabattre le caquet assez vite, a estimé M. Fewer. Et si c'est le cas, et bien je crois que Voltage comprendra que ce n'est pas une stratégie rentable.»

Selon lui, des producteurs utilisent les tribunaux pour demander des pénalités bien supérieures aux dommages réels subis, dans le seul but de faire peur aux présumés contrevenants et de les pousser à accepter un règlement à l'amiable, qui pourrait même être supérieur au minimum de 100 $ prévu par la loi.

M. Fewer se réjouit d'ailleurs que le juge Aalto ait exigé que le tribunal approuve la lettre que Voltage enverra aux présumés contrevenants, afin de s'assurer que le ton ne visera pas à forcer une entente à l'amiable. «Beaucoup de gens préféreront régler plutôt que de faire face à l'angoisse d'une poursuite (...) et aux frais pour embaucher un avocat, même s'ils sont innocents - et c'est précisément le but visé par les entreprises.»