Taxe de 50% sur les achats sur les sites internet étrangers, obligation de faire une déclaration sous serment au fisc: l'État argentin pénalise le commerce online pour éviter une fuite de devises et protéger le «fabriqué en Argentine».

Le gouvernement de la présidente de centre-gauche Cristina Kirchner a imposé une taxation telle des produits d'importation que les Argentins essaient d'effectuer le plus d'achats possibles à l'étranger, par internet ou physiquement, payant souvent moitié moins cher des vêtements, jouets ou téléphones portables venant de Chine, des États-Unis ou d'Europe.

Pour Miguel Ramirez, un médecin de 55 ans et acheteur compulsif sur les sites chinois, les mesures gouvernementales sont «une nouvelle pierre sur le chemin pour dissuader les gens», très impopulaires et seront difficiles à mettre en oeuvre.

Les transactions online sur les sites étrangers, notamment chinois, ont considérablement augmenté ces dernières années, représentant l'an dernier 350 millions de dollars, soit 13,5% des transactions web, selon la Chambre de commerce électronique.

D'après l'institut d'études .comScoreMediaMatrix, un quart des Argentins font des emplettes sur internet, et le site chinois www.alibaba.com est le plus utilisé.

Pour déjouer le mécanisme de taxation argentin au profit du client, l'expéditeur chinois fait figurer sur l'étiquette l'inscription «cadeau» ou «échantillon gratuit». En revanche, pour un achat aux États-Unis, c'est la taxe de 50% qui s'abat.

«J'avais besoin de pièces de rechange pour ma voiture, le concessionnaire ne les avait pas. Je les ai commandées à Miami, 600 dollars, et j'ai dû payer 1800 pesos (300 dollars) à la douane, raconte le médecin. Ce durcissement de la politique, c'est une goutte d'eau dans un océan de mécontentement».

Le gouvernement Kirchner, en perte de vitesse lors des législatives d'octobre, fait face à un mécontentement croissant, notamment dans les classes les plus aisées. Les Argentins se plaignent de l'inflation (28% en 2013), des restrictions à l'accès aux devises alors qu'ils sont habitués à épargner en dollars, et d'une taxe de 35% sur les achats hors d'Argentine.

Voyant ses réserves en devises diminuer de 52 à 29 milliards de dollars en trois ans, le gouvernement argentin cherche par tous les moyens à stopper l'hémorragie. L'économie argentine est fragilisée par l'inflation et la baisse des devises, mais elle affiche une croissance de 5%, une consommation interne forte et une balance commerciale positive de 10 milliards de dollars.

Jusqu'ici, seules les transactions électroniques de plus de 25 dollars étaient visées par la taxe de 50%. La nouvelle législation prévoit que seulement deux achats de 25 dollars seront exemptés de la majoration de 50%.

La politique est tellement dissuasive que de nombreuses personnes ont renoncé aux achats sur les sites étrangers.

«La dernière fois, j'ai acheté 3 ou 4 livres pour environ 50 dollars, la commande n'est pas arrivée à mon domicile, j'ai dû passer une demi-journée à la douane pour la récupérer. Basta», bouillonne Pablo Rodriguez, réalisateur de documentaire de 48 ans.

Mariana Perez n'achète plus sur eBay pour éviter les surtaxes et compte sur son frère vivant à Londres pour lui apporter ordinateur ou autres produits électroniques.

Carlos Negredo, un retraité de 64 ans, dénonce en outre la corruption d'agents des douanes. «Je suis allé chercher un paquet à la poste, on m'a orienté vers un guichet des douanes, un fonctionnaire a ouvert le paquet, évalué la valeur et déterminé un montant à payer. Pour seul reçu, il m'a griffonné un chiffre sur un morceau de papier, j'ai payé cash et je suis parti. Je ne suis pas sûr que l'administration fiscale en ait vu la couleur».

Le dispositif sur les achats online vise a protéger l'industrie nationale contre la concurrence étrangère, s'est justifié mercredi le chef du gouvernement Jorge Capitanich, sans apaiser l'ire des internautes.