La décision de la justice française de bloquer plusieurs sites de streaming diffusant illégalement des oeuvres est une première en France, mais ne concerne qu'une goutte d'eau dans l'océan du piratage.

Appliquant pour la première fois en France la loi anti-piratage de 2009, dite «loi Hadopi», la justice a demandé aux fournisseurs d'accès à Internet de bloquer plusieurs sites qui diffusent illégalement des séries ou des films, dont Allo Streaming et DP Stream. Mais depuis le début de la procédure, en 2011, la plupart de ces sites ont fermé, avec l'apparition de nouveaux sites aux noms très proches.

Cette décision, très attendue par les ayants droit, va plus loin que la seule pratique actuelle consistant à demander aux moteurs de recherche de déréférencer des pages.

Google a reçu en 2013 plus de 200 millions de demandes de blocage de pages, selon une compilation du site TorrentFreak, quatre fois plus qu'en 2012. Google répond positivement à 99% de ces demandes, en quelques heures. Mais ce chiffre est à confronter aux quelque 60 milliards de milliards de pages Internet - soit une page sur 100 milliards.

De plus, la page n'est pas supprimée: il suffit de taper directement son adresse pour la retrouver. Faire bloquer la page par les fournisseurs d'accès à Internet est donc bien plus efficace, sauf si un site similaire peut se recréer dans l'heure et qu'il faut à nouveau deux ans de procès pour la bloquer.

L'enjeu de cette décision, a souligné l'association La Quadrature du Net, est donc de savoir si la justice française autorisera les ayants droit à demander directement à un fournisseur d'accès de bloquer un site qu'ils jugeraient illégal, sans passer par un juge.

Sur ce point, la décision est ambiguë, car si elle a exclu pour l'instant cette possibilité, elle évoque de possibles accords en ce sens.

«Cela ouvre la voie à la censure privée du net», s'est inquiétée La Quadrature du Net, qui prédit l'apparition de nouvelles techniques de partage de fichiers entre internautes.

Chez Google, la décision est accueillie avec méfiance. «Nous sommes déçus par la décision du tribunal. Nous demeurons engagés aux côtés des ayants droit pour les aider à combattre le piratage sur l'ensemble des outils Google», a indiqué vendredi le géant américain, sans autre commentaire.

Course technique

Opposé à la censure, Google préfère visiblement la traque au cas par cas, plutôt que de bloquer des sites entiers qui parfois abritent à la fois contenus légaux et illégaux. C'est d'ailleurs le cas de sa filiale YouTube : tous les jours, des ayants droit demandent le blocage de contenus illégaux qui ont fait leur apparition chez l'hébergeur.

Mais Google n'est pas central: les pirates ne se servent des moteurs que pour 20% de leurs recherches de contenus illégaux, selon l'association américaine MPAA. Ils vont directement sur des sites connus ou signalés dans les réseaux sociaux.

Depuis deux ans, de plus en plus de pays font fermer des sites de piratage. Début 2012, la justice américaine a fait fermer le site de téléchargement MegaUpload. Plusieurs pays ont fait fermer The Pirate Bay. En Grande-Bretagne, une trentaine de grands sites de streaming ont été bloqués récemment.

Mais des centaines de sites restent disponibles et, surtout, des techniques de contournement des blocages nationaux se développent: l'utilisation de proxies ou de VPN, ces « couloirs » privés qui permettent de se connecter à Internet comme si on le faisait depuis un ordinateur situé à l'étranger.

Selon une enquête de l'Hadopi, l'autorité anti-piratage, parue vendredi, environ un pirate sur cinq se sert de ces stratégies de contournement.

L'organisation britannique NetNames estime que le piratage a augmenté de 10% en 2012 et que les téléchargements illégaux occupent un quart de la bande passante mondiale. Quelque 327 millions d'internautes en Amérique du nord, Asie, et Europe ont cherché sciemment des contenus illégaux en janvier 2013, soit un quart des internautes, 10% de plus qu'en novembre 2011.

Prudemment, Hadopi a souligné vendredi qu'il faudrait observer avec attention l'impact de cette décision sur la consommation en ligne.