D'un côté, un jeune génie de l'internet russe amateur de provocation, de l'autre, un fonds d'investissement et ses avocats américains: la guerre est déclarée entre le patron de VKontakte, site souvent décrit comme le «Facebook russe», et son principal actionnaire.

Pavel Dourov, sur le point de fêter ses 29 ans, et les dirigeants du fonds UCP Capital Partners échangent noms d'oiseaux et menaces de poursuites judiciaires depuis que le fondateur du premier réseau social russe, qui surpasse dans l'ex-URSS son concurrent américain, a officialisé leur conflit

«Ils fonctionnent uniquement par la menace et les pressions», a-t-il tempêté dans le quotidien des affaires Vedomosti.

«Ils ne font confiance à personne et cherchent le mal partout de manière paranoïaque. Si je ne savais pas qu'il s'agissait de financiers, j'aurais l'impression d'avoir affaire à des membres du FSB», le service de renseignement héritier du KGB, a-t-il ajouté.

Ce n'est pas la première fois que le fougueux jeune patron, qui a fondé VKontakte (VK) à sa sortie de l'université de Saint-Pétersbourg en 2006, s'oppose à ses actionnaires et associés.

Mais les tensions ont atteint un niveau inédit depuis qu'UCP a acheté, au printemps, 48 % du capital de VK auprès des autres cofondateurs du réseau social, qui permet à ses plus de 100 millions d'utilisateurs de partager statuts, photos, vidéos et musique.

Le fonds d'investissement dirigé par Ilia Cherbovitch, membre de plusieurs conseils d'administration dans l'industrie pétrolière, reproche à Pavel Dourov d'avoir lancé indépendamment du réseau social une application de messagerie, Telegram, et l'accuse d'y consacrer des ressources de VK.

Selon M. Dourov, UCP lui a envoyé ses avocats américains pour le menacer de poursuites et les pressions sont devenues telles que certains employés du groupe ont commencé à quitter le navire.

Le fonds n'est pas resté sans réagir.

«Au sein de l'entreprise et sur le marché, il y a des garçons de talent intéressés par le développement de VKontakte. Il est possible qu'un d'eux prenne la tête de l'entreprise dans un futur proche», a averti un de ses responsables, Iouri Katchouro, sur le site spécialisé Zuckerberg Pozvonit.

Aussitôt, Pavel Dourov a menacé de porter plainte pour calomnie.

Premier actionnaire de VK, UCP ne dispose pas à lui seul du pouvoir de remercier le jeune dirigeant, qui détient 12 % du capital et bénéficie du soutien du groupe internet Mail.ru (40 %).

La société du milliardaire Alicher Ousmanov, actionnaire de référence de Mail.ru, a estimé dans Vedomosti que «VKontakte perdrait en valeur et en popularité sans Dourov et son équipe».

Le réseau social détient une part de marché considérable en Russie, estimée par la banque Barclays autour de 40 % contre seulement 25 % pour Facebook, ce qui en fait un joyau de l'internet russe.

N'étant pas coté en Bourse, ses résultats financiers ne sont pas publics mais, selon le rapport annuel de Mail.ru, il a été bénéficiaire en 2012 et son chiffre d'affaires a augmenté de 44 %, même si pour les analystes de Citi, «sa rentabilité est volatile».

Pour Evguéni Trifonov, expert indépendant en réseaux sociaux, «Pavel Dourov n'a pas pour priorité la hausse des bénéfices». «Il lui suffit que le projet soit rentable et continue d'exister», tandis que «UCP a déjà estimé que le réseau pourrait lui rapporter plus d'argent sous son contrôle», explique-t-il.

L'affaire a été très commentée sur internet, où le jeune homme bénéficie d'une popularité considérable et où ses provocations font régulièrement le «buzz».

Teint pâle, cheveux noirs, le plus souvent vêtu de noir, il a fait scandale en lançant des billets de banque des fenêtres du siège de VK à Saint-Pétersbourg. Plus récemment, il a fait parler de lui en proposant au fugitif américain Edward Snowden, réfugié en Russie, de travailler avec lui.

Fin 2011, alors qu'un mouvement de contestation sans précédent contre Vladimir Poutine rassemblait des dizaines de milliers de personnes, il a refusé de se plier à l'injonction des services de renseignement de bloquer des groupes d'opposition sur VK.

Ouvertement libertaire, il a fait du réseau un lieu d'échanges de films et de musique mais, face au durcissement de ton des autorités russes face au piratage, il a dû se résoudre récemment à effacer une partie importante des contenus hébergés.