Le chiffre de plus de 1,4 million d'admirateurs que revendiquait dimanche la page Facebook de «Soutien au bijoutier de Nice» suscitait interrogations et vifs débats parmi les internautes et experts, certains criant au bidonnage quand d'autres y voient un réel phénomène de société.

D'avis de spécialiste, une telle vague de soutien sur les réseaux sociaux sur un sujet d'ordre politique ou sociétal en France est sans précédent. La page n'a été mise en ligne que le 11 septembre et les soutiens «à ce bijoutier qui ne faisait que son travail» ne cessent d'affluer.

Selon l'administrateur, ils étaient samedi 1,2 million à avoir cliqué sur «like» (action par laquelle on signifie qu'on 'aime' une page Facebook). Dimanche après-midi, la page en revendiquait près de 1,46 million.

Le bijoutier de 67 ans a tiré mercredi à Nice sur les braqueurs de sa boutique ayant pris la fuite en scooter, blessant mortellement l'un des deux d'une balle dans le dos. Mis en examen pour homicide volontaire, il a été assigné à résidence avec bracelet électronique.

Vrais chiffres ou bidonnage dans un pays où 17 millions d'utilisateurs Facebook se connectent tous les jours ? Ce chiffre est «faramineux en seulement quatre jours. C'est du jamais vu», réagit Olivier Cimelière, ex-directeur de la communication de Google France et auteur du «Blog du communicant 2.0».

«Je pense clairement qu'il y a eu gonflette», avance-t-il. Car les «faux 'like'» existent. Pour Grégory Fabre, concepteur de sites internet et directeur des systèmes d'information au magazine TerraEco, c'est une «pratique bien connue». «Par exemple, des agences de communication vendent des comptes» et des «amis» pour gonfler l'audience d'une marque, explique-t-il.

Des statistiques de la page Facebook, réalisées à l'aide de l'outil SocialBakers, indiquaient samedi que 80% des «likes» provenaient de l'étranger, accréditant l'idée qu'ils étaient suspects.

Mais plusieurs spécialistes des réseaux sociaux ont mis en doute la qualité de ces chiffres, et un responsable de SocialBakers interrogé par Rue89 reconnaissait dimanche qu'en l'espèce, les statistiques étaient sujettes à caution, suggérant un «bogue côté Facebook qui ne nous envoie pas des données correctes».

Anonymat

«Pour faire taire les rumeurs», l'administrateur de la page a diffusé dimanche une «capture d'écran» indiquant qu'entre le 11 et le 13 septembre, près de 98% des «likes» provenaient de France. Des chiffres proches de ceux publiés dans un billet de blog par l'agence KRDS, qui se présente comme le «leader en France du marketing sur Facebook».

Et là se pose la deuxième grande question: qui se cache derrière cette page Facebook ? «On ne sait pas qui a ouvert cette page et dès lors qu'on recourt à l'anonymat sur internet, c'est suspect», souligne M. Cimelière, alors que tous les regards se tournent vers la «droitosphère».

Sur Twitter notamment, beaucoup de ses représentants, membres ou non des formations ayant pignon sur rue, appellent clairement à soutenir le commerçant, comme Jean-Marie Le Pen qui a déclaré à l'Université d'été du Front National (FN) à Marseille: «Je crois que si j'avais été bijoutier, j'aurais fait comme lui».

Pour autant, la présidente du FN, Marine Le Pen, a «formellement assuré» dimanche que son parti n'avait «strictement rien fait dans cette affaire» de soutiens à la page Facebook.

«J'ai entendu dire qu'il y aurait des 'likes' achetés à l'étranger, le FN a autre chose à faire de son argent que ce genre de choses. Je suis extrêmement tranquille», a-t-elle ajouté.

Seul Facebook dispose des données réelles sur cette page, mais interrogé par l'AFP, le réseau social se refusait pour l'heure à tout commentaire officiel.

Faux «likes» ou pas, nombre d'observateurs d'internet reconnaissaient néanmoins qu'un vrai mouvement populaire s'était enclenché autour de cette page où se multiplient les commentaires en soutien à «l'honnête travailleur» qu'est le bijoutier, conspuant un système judiciaire jugé trop laxiste et mettant en avant «le ras-le-bol des citoyens».

«Il ne faut pas se tromper de débat», insiste Guilhem Fouetillou, professeur associé à Science Po et cofondateur de Linkfluence, spécialisé dans l'analyse du web social.

«Qu'il y ait ou pas des achats de faux, l'ampleur de la mobilisation sur la page, l'importance, la vitalité, la vitesse des échanges, des commentaires, est extrêmement forte et assez inédite, surtout hors période électorale», souligne-t-il.