L'intervention du gouvernement français, qui a stoppé la vente de Dailymotion au géant Yahoo!, est taxée de protectionnisme par certains entrepreneurs mais elle pose aussi le problème du manque d'investisseurs de taille dans l'hexagone, et du peu d'expertise des politiques dans le domaine numérique.

«Le +business+ du numérique est particulier, stratégique, et demande un niveau d'expertise élevé, ce n'est pas du tout la même chose que gérer une industrie traditionnelle comme l'automobile par exemple.

Et l'expertise de l'État (français) dans ce domaine est de zéro», juge Gilles Babinet, entrepreneur du secteur internet et ex-président du Conseil national du numérique.

Celui qui a également été désigné par le gouvernement «champion du numérique» auprès de la Commission européenne, estime que cette vente ratée «risque» de couper les ailes à Dailymotion, et qu'«à la place de Dailymotion», il aurait été «ennuyé de ne pas avoir d'actionnaire qui apporte de l'argent», dans un entretien à l'AFP.

Yahoo! souhaitait racheter à France Télécom 75% du capital de sa filiale Dailymotion, petit site français de vidéos mais l'État, qui détient encore 27% du capital de l'opérateur historique, ne voulait pas aller plus loin que 50%.

Le ministre français du Redressement productif, Arnaud Montebourg, a assuré avoir bloqué ce rachat pour ne pas «abandonner Dailymotion entre les mains d'une société dont la santé est parfois vacillante et qui de surcroît risque de dévorer Dailymotion», parlant d'un «réflexe économique et d'intelligence stratégique».

«Le problème est qu'il n'y a aucune politique stratégique en France dans le domaine du numérique, cette affaire en est un révélateur», déplore un patron du web qui préfère garder l'anonymat, et pour lequel cette affaire est «clairement du protectionnisme, même s'il y a aussi beaucoup d'hypocrisie».

«Les Français contre le reste du monde»

«Plusieurs entrepreneurs dans mon entourage ont hurlé en apprenant la nouvelle, mais ils auraient encore plus hurlé si Dailymotion était soudainement devenu américain et qu'on avait laissé filer une des rares pépites françaises avec un potentiel mondial. Quelque part la réaction du gouvernement a été bonne, même si ça aurait pu être fait autrement», souligne-t-il.

Cet entrepreneur estime que fatalement, «il faut un partenaire américain pour le développement de Dailymotion» car peu d'actionnaires en France ont la taille pour financer l'expansion internationale du site, «c'est pour cela que l'accord avec Yahoo! était une excellente idée, mais il pourrait être complété par un partenariat avec un consortium européen», selon lui.

«Oui, Dailymotion a besoin d'un accord stratégique, mais il dit avoir besoin de 50 millions d'euros, ce qui n'est pas énorme et peut se trouver» en France ou en Europe, estime pour sa part Benoît Thieulin, actuel président du Conseil national du numérique.

Pour lui, «le fait que l'État intervienne n'est pas choquant, car il est actionnaire et a une part importante dans France Télécom-Orange. Il faut aussi faire attention à Yahoo!» car les associations qu'il a nouées avec certaines entreprises ne les ont pas forcément fait croître, estime-t-il.

Dans l'opposition, le vice-président de l'UMP Luc Chatel a dit s'interroger «sur cette mode qui consiste à considérer que nous sommes nous les Français opposés à l'ensemble du monde surtout sur des sujets aussi universels que les questions d'Internet», au micro de France Info.

Critiquant cette politique «que je ne partage pas du tout, du protectionnisme économique», il a jugé que Arnaud Montebourg était «coutumier du fait puisque depuis qu'il a accédé aux responsabilités, il cherche à opposer la France au reste du monde.»