Un important jugement tombé samedi, aux États-Unis, remet en question le concept naissant de revente de musique «d'occasion» sur l'internet.

L'entreprise américaine ReDigi gère depuis octobre 2011 un site internet par l'entremise duquel il est possible de revendre des pièces musicales achetées légalement. Elle se veut en quelque sorte l'équivalent numérique des marchands de disques de seconde main.

Les règles de ReDigi sont relativement strictes. Pour y vendre des pièces, il faut d'abord télécharger un logiciel, disponible sur les plateformes Mac et Windows. Ce logiciel fait l'inventaire des pièces musicales enregistrées sur l'ordinateur de l'utilisateur et juge de leur admissibilité à la revente. Seules les pièces achetées par l'entremise d'iTunes peuvent être revendues.

Les pièces jugées admissibles peuvent ensuite être téléversées sur le serveur de ReDigi, mais elles sont alors effacées de l'ordinateur et des appareils secondaires, tel un iPod, de l'utilisateur.

Qui plus est, le logiciel de l'entreprise continue de surveiller le contenu de l'ordinateur et des autres appareils afin de détecter la réapparition d'une copie du fichier. S'il en trouve une, il avertit l'utilisateur de la supprimer, sans quoi il s'expose à une suspension du service.

ReDigi revend ensuite ces pièces pour 49 cents US, comparativement au prix initial de 99 cents US ou 1,29$US d'iTunes. Le vendeur ne perçoit que 20% de la somme.

Illégal sur tous les fronts

Original, le concept est tout à fait illégal, a déterminé samedi le juge Richard J. Sullivan, de la Cour du district Sud de l'État de New York, dans une cause qui opposait ReDigi à Capitol Records.

D'abord, tranche-t-il, ReDigi viole les droits de reproduction de Capitol en permettant la création d'une copie du fichier musical sur ses serveurs, et ce, même si le fichier original est supprimé de l'ordinateur de l'utilisateur.

Puis, ajoute-t-il, elle ne respecte pas les droits de distribution de Capitol Records.

Dans ce cas, ReDigi invoquait principalement la «doctrine de la première vente», aussi appelée «doctrine de l'épuisement».

Celle-ci, explique la professeure en droit d'auteur Ysolde Gendreau, de l'Université de Montréal, veut qu'un vendeur épuise son droit de percevoir de l'argent pour la redistribution d'un exemplaire d'une de ses oeuvres une fois qu'il a vendu cet exemplaire.

Le juge Sullivan a toutefois rejeté cet argument sur une base essentiellement technique. Comme la copie vendue est celle qui se trouve sur le serveur de ReDigi et qu'il juge celle-ci illégale, l'entreprise ne peut, selon lui, invoquer la défense de la première vente.

De meilleures chances au Canada

Au Canada, une telle cause pourrait fort bien trouver un dénouement différent, estime Mme Gendreau.

Un nouvel article de la Loi sur le droit d'auteur, entré en vigueur en novembre dernier, a confirmé l'existence au Canada d'une forme de la «doctrine de la première vente».

«Avant cet article, il n'y avait rien dans la loi sur la notion d'épuisement», explique Mme Gendreau.

Une décision de la Cour suprême rendue l'été dernier a aussi confirmé le fait «qu'une fois qu'il y a eu téléchargement, la personne ne peut plus réclamer de redevances», ajoute-t-elle. Cette cause concernait de la musique incluse dans un jeu vidéo.

Celle-ci n'était toutefois pas revendue, mais seulement jouée.

«C'est clair qu'on peut avoir ici un débat semblable à celui qui se fait aux États-Unis», résume-t-elle.

Les téléchargements en bref

Pour revendre une pièce musicale sur ReDigi, il faut d'abord l'avoir achetée légalement sur iTunes. Or, le Canada vient au quatrième rang des plus grands utilisateurs du réseau BitTorrent, généralement utilisé de façon illégale.

Fichiers musicaux téléchargés durant les six premiers mois de2012

96,7 millions aux États-Unis

43,3 millions au Royaume-Uni

33,2 millions en Italie

24 millions au Canada

19,7 millions au Brésil

Fichiers musicaux téléchargés durant les six premiers mois de 2012 (par habitant)

0,88 en Australie

0,7 au Canada

0,69 au Royaume-Uni

0,54 en Italie

0,52 au Portugal

0,3 aux États-Unis (10e rang)

Source: Digital Music Index, MusicMetrix, Septembre 2012