Si personne ne se réveille, le Québec ratera complètement le passage au numérique. C'est ce qu'affirment 13 personnalités du milieu, qui proposent un plan d'action afin que la province se positionne avantageusement dans l'économie du XXIe siècle. Ils dévoileront leurs propositions à la presse jeudi matin.

Par numérique, on entend davantage qu'un branchement à l'internet et un accès à un ordinateur. On parle d'une société branchée, bien sûr, mais aussi «capable de développer à la fois l'économie, la culture et les savoirs» avec l'aide, entre autres, de données ouvertes et de bandes passantes hyperperformantes.

L'implantation des dossiers de santé électroniques, la transmission des savoirs dans les écoles ou la lutte contre la corruption sont des dossiers brûlants d'actualité qui devraient s'inscrire dans cette réflexion.

Or, rien dans le budget Marceau déposé mardi, pas même un engagement symbolique, n'indique que le Québec regarde dans cette direction.

«Il y a 20 ans, on occupait le cinquième rang des sociétés qui s'étaient bien positionnées dans l'univers des nouvelles technologies, rappelle Michel Cartier, un des trois porte-parole des 13, rencontré hier par La Presse. Aujourd'hui, on se trouve en 15e position, derrière les provinces de l'Ouest.»

«On peut comparer la situation à ces villes dont l'économie reposait sur la fabrication des carrioles et des fouets, ajoute la spécialiste des médias sociaux Michelle Blanc, également porte-parole. Quand l'automobile est arrivée, elles se sont retrouvées le bec à l'eau. C'est ce qui pourrait se produire au Québec si nos décideurs ne se réveillent pas.»

Le groupe, qui s'est baptisé «Les 13 étonnés» (un clin d'oeil aux lucides et aux indignés), précise que son intervention ne s'adresse pas à un parti politique en particulier, mais à l'ensemble de la société civile. «Depuis le gouvernement Landry, plus rien ne bouge, note le philosophe Hervé Fischer.

C'est d'autant plus inquiétant quand on sait que le contenu francophone représente seulement 4% de l'ensemble du contenu sur le web. Pour une petite société comme la nôtre, il est donc important de développer nos infrastructures et nos contenus.»

Ailleurs dans le monde, en France et en Australie notamment, des gouvernements ont nommé un délégué ou un ministre responsable du numérique.

Pas au Québec. Les signataires proposent de remédier à la situation en créant une Agence du numérique qui relèverait de l'Assemblée nationale (comme Hydro-Québec pour les questions énergétiques).

«Cette agence, précisent-ils, devrait transcender les partis politiques et le pouvoir exécutif.» Évidemment, les «13» recommandent aussi d'investir dans le déploiement de réseaux à très haute vitesse «qui seraient gérés selon les règles de l'OpenAccess afin que les infrastructures québécoises soient ouvertes et interopérables».

On propose aussi la «co-création d'un Plan numérique avec l'ensemble des acteurs et la population de toutes les régions du Québec», ainsi que la mise sur pied d'un Conseil national du numérique inspiré du modèle du Conseil supérieur de l'éducation.

Ce conseil pourrait «être consulté par le Parlement et les ministères pour toute question concernant le développement du numérique sur le territoire québécois». On suggère enfin la création d'un Forum de participation citoyenne indépendant du gouvernement, inspiré du modèle anglais NESTA.

«Il y a de plus en plus de signes qui montrent que le développement économique est intimement lié au développement du numérique, notent les trois porte-parole.

Ceux qui vont embrasser le numérique vont réussir à bien se positionner, mais les autres risquent de devenir des colonisés du numérique. On ne veut pas que le Québec soit un de ceux-là.»