Il se produit des choses étranges sur Kickstarter, le site où les internautes demandent de l'argent pour financer leurs rêves. Parfois, ils récoltent plus d'argent que ce qu'ils avaient demandé - parfois des millions de plus.

En avril, les fondateurs canadiens de la firme Pebble Technology ont demandé 100 000$ US pour fabriquer 1000 montres qui peuvent afficher l'information sur les appels entrants, les courriels, les messages sur Facebook et Twitter, les alertes du calendrier et la météo.

Les bienfaiteurs qui fréquentent Kickstarter ont été tellement emballés par l'idée que Pebble a récolté 10,3 millions de dollars US, un montant qui aurait continué à grimper si la compagnie n'avait pas mis fin à sa campagne de financement.

«Nous avions essayé de nous financer avec les méthodes habituelles, sans grand succès», a expliqué Eric Migicovsky, l'homme de 25 ans originaire de Vancouver qui a fondé Pebble.

Kickstarter est le plus important de dizaines de sites Web consacrés au financement collectif («crowdfunding», en anglais), un système par lequel de petits investisseurs fournissent de l'argent pour aider au décollage d'un projet.

Les inventeurs, artistes et investisseurs mettent leur projet en ligne sur Kickstarter, habituellement en l'accompagnant d'une présentation vidéo. Ils déterminent aussi la durée de leur campagne de financement, entre 1 et 60 jours, et le montant qu'ils souhaitent récolter. Tous peuvent ensuite s'impliquer. Si l'objectif monétaire n'est pas atteint, les investisseurs sont remboursés et le projet annulé.

Normalement, ces investisseurs ne se contentent pas de savoir qu'ils ont aidé à concrétiser un rêve et pourront recevoir un exemplaire du produit en question.

Le cas de Pebble n'est pas unique. Quand Casey Hopkins a demandé 75 000$ US pour concevoir une station d'accueil iPhone faite d'aluminium massif, il a récolté 1,4 million de dollars US. Quand l'artiste Rick Burlew a voulu récolter 57 750$ US pour relancer l'impression de ses bandes dessinées, il a reçu 1,3 million. Et quand la firme Ouya a demandé 950 000$ US pour développer une console de jeu qui rivaliserait avec la PlayStation, la Xbox et la Wii, elle a été inondée de dons totalisant 8,6 millions.

Depuis sa naissance en 2009, Kickstarter a généré plus de 250 millions de dollars US en contributions pour différents projets. Kickstarter garde 5% des fonds recueillis, et Amazon.com empoche entre 3 et 5% des contributions pour sa gestion des dons.

Le fondateur de Pebble, Eric Migicovsky, s'est installé à Silicon Valley, en Californie, où le capital de risque est abondant. Il a reçu l'appui de quelques «investisseurs providentiels» à ses débuts et a produit quelques exemplaires de sa montre l'an dernier. Mais pour concrétiser sa vision d'une montre programmable qui n'a besoin d'être rechargée qu'une fois par semaine, il avait besoin d'encore plus d'argent. Les sociétés de capital de risque, qui fournissent des montants plus importants que les «investisseurs providentiels», n'étaient pas intéressées. Elles sont habituées à financer des sites Web et des firmes logicielles et hésitent à s'impliquer dans la «quincaillerie», a dit M. Migicovsky.

C'est à ce moment qu'il s'est tourné vers Kickstarter, espérant récolter assez d'argent pour produire 1000 montres. Les commandes se sont multipliées quand le projet a été mentionné par des blogueurs technos. M. Migicovsky a vendu une montre toutes les 38 secondes pendant 37 jours. Submergé par la demande, il a embauché six personnes en deux semaines, triplant sa main d'oeuvre.

Les montres seront prêtes cet automne - sans l'aide de sociétés de capital de risque.

«On veut utiliser notre temps pour parler avec les clients. On ne veut pas vraiment passer notre temps à jaser avec les sociétés de capital de risque. Parce que en bout de compte, ce sont seulement des types avec de l'argent», a expliqué M. Migicovsky.

Kickstarter a initialement été créé pour financer des projets artistiques, et ses fondateurs sont inconfortables avec sa mission de plus en plus commerciale. Mais le consultant Scott Steinberg, qui a écrit un guide sur le financement collectif, estime que ce virage était inévitable.

«Le financement collectif est encore en prématernelle, a-t-il dit, et il s'apprête à grandir très rapidement et à devenir très complexe. Inévitablement, des entreprises et des organisations à but lucratif vont s'y intéresser.»

Mais pour l'instant, ajoute M. Steinberg, le financement collectif sera dominé par des produits faciles à comprendre visuellement, comme la montre Pebble, ou des biens destinés aux amateurs de créateurs ou de produits qui existent déjà.