Le phénomène des employeurs américains qui tentent d'avoir accès aux comptes de réseaux sociaux des demandeurs d'emploi a peu de chance de se répandre au Canada, estiment des experts.

Selon des avocats, les lois du travail canadiennes offrent de solides protections contre les employeurs qui demandent aux candidats de fournir de nombreuses informations personnelles, dont les mots de passe de leurs comptes sur les réseaux sociaux.

Les lois américaines sont moins sévères, selon les avocats contactés, qui citent divers exemples où des employeurs ont demandé à des postulants de fournir des mots de passe dans le cadre du processus d'embauche.

Les incidents ont provoqué de fortes réactions dans deux États. L'Illinois et le Maryland ont tous deux présenté des projets de loi qui empêcheraient de telles pratiques.

L'avocat torontois Paul Cavaluzzo, spécialiste en droit du travail, croit que le Canada n'a pas besoin de faire de même.

Il explique que les questions portant sur le travail sont normalement de juridiction provinciale, mais que des lois fédérales existent également pour protéger les informations personnelles. De plus, les lois existantes sont plus sévères que celles en place aux États-Unis.

Si aucune loi ne cible spécifiquement l'accès aux réseaux sociaux, Me Cavaluzzo croit que la tradition légale du pays tranche le débat. L'existence de commissaires à la vie privée tant au fédéral qu'au provincial constitue une autre façon de protéger le public, selon lui.

«Au Canada, nous avons toujours respecté le droit à la vie privée, ce qui veut dire que l'employeur n'a pas, et ne devrait pas avoir accès aux informations personnelles.»

Le débat a surgi après que certains employeurs américains eurent tenté d'obtenir des informations personnelles contenues dans les profils des réseaux sociaux, en utilisant parfois des moyens très peu directs.

Un gérant responsable de l'embauche a récemment demandé à Robert Collins, un résidant du Maryland, de lui fournir son mot de passe Facebook afin qu'il puisse évaluer sa candidature pour un poste de gardien de prison. Il a dit à M. Collins que son profil serait examiné afin de détecter toute trace de liens avec des organisations criminelles.

D'autres ont rapporté qu'on leur a demandé d'accéder à leur profil personnel sur un ordinateur du lieu de travail ou qu'un gérant leur a demandé d'être ami sur Facebook, alors que le processus d'embauche était toujours en cours.

Il s'agit là de violations de la vie privée, selon des opposants à de telles pratiques, comparées par un avocat à un futur employeur qui demanderait d'obtenir les clés de la maison d'un candidat. Les employeurs qui ont fait de telles requêtes affirment que les candidats étaient libres de refuser, s'ils étaient inconfortables.

Shirin Khamisa, la fondatrice de Careers by Design, une firme de conseillers en emploi, estime que les candidats confrontés à ce genre de questions ont le droit de réclamer des employeurs qu'ils motivent leurs demandes, s'ils trouvent celles-ci intrusives.

Elle ajoute que les employeurs ont souvent de bonnes raisons de chercher à connaître le passé d'un employé potentiel, mais que les façons pour obtenir les informations peuvent être inappropriées.

Mme Khamisa suggère aux chercheurs d'emplois de changer de sujet pour ramener la conversation vers des éléments liés à l'emploi. Après tout, rappelle-t-elle, les entrevues d'embauche n'ont pas à être à sens unique.

«En tant que candidat, vous êtes aussi en position de pouvoir», explique Mme Khamisa.

«Si on vous pose une question de cette nature, il est bien de chercher à savoir si c'est un employeur avec qui vous avez envie de travailler.»

Et même si les candidats refusent de se plier à ce genre de demandes, ils devraient être vigilants quant à des méthodes plus insidieuses.

Parfois, il arrive que des compagnies utilisent les médias sociaux dans le cadre d'un processus de candidature en ligne. Les chercheurs d'emplois peuvent postuler pour un emploi via les réseaux sociaux, puis une tierce partie intervient pour envoyer des détails personnels sur le candidat à la compagnie.

Autant Me Cavaluzzo que Mme Khamisa ont affirmé être peu familiers avec ce genre de pratiques. Les employeurs canadiens semblent peu enclins à recourir à cette méthode, utilisée aux États-Unis par Sears, notamment, qui utilise des logiciels pour obtenir l'historique d'emplois des candidats américains.

La porte-parole canadienne de Sears Canada, Alicia Richler, a indiqué que la compagnie n'a jamais songé à exporter la méthode au nord de la frontière.

Toutefois, les experts des réseaux sociaux suggèrent de rester prudent.

L'auteure et spécialiste des réseaux sociaux, Amber MacArthur, estime que la vie privée sur Internet est un mirage, puisque toutes les informations publiées sur un site relativement sécuritaire ne sont toujours qu'à un clic d'être révélées par un contact mal intentionné.

Les réseaux sociaux ont leur place sur le marché du travail, selon elle, ajoutant que les employeurs ont toutes les raisons de se mettre à la recherche d'informations qui n'ont pas été bien protégées.

Mme MacArthur croit que la meilleure façon d'éviter d'être embarassé est de contrôler les informations à la source. Les chercheurs d'emplois devraient retirer toute information personnelle de leur profil.

«J'aimerais que ce soit une pratique que les gens imitent», dit-elle. «Je pourrais parler des différents réglages de sécurité sur Facebook pendant des heures, mais la réalité (...) c'est que je ne crois pas que l'on sera un jour capable d'avoir une expérience complètement privée sur Internet. Vous voulez peut-être examiner ce que vous partagez sur Facebook et vous assurer de votre comportement.»