Ont-ils «fait» les révolutions? Quel est leur rôle en période de transition? À l'heure où trois cyberactivistes du printemps arabe sont en lice pour le Nobel de la Paix, la petite communauté des blogueurs, réunie à Tunis, s'interroge sur son influence et ses limites.

Venus d'Égypte, de Syrie, du Liban, d'Arabie Saoudite, une centaine de ces jeunes internautes se sont retrouvés lundi à Tunis, pour la «troisième rencontre des blogueurs arabes», après les éditions de 2008 et 2009 à Beyrouth.

Entretemps, trois révolutions sont passées par là, tout le monde arabe est en ébullition, et le rôle des réseaux sociaux dans ce «printemps arabe» a été mondialement salué.

Consécration suprême: trois jeunes cyberactivistes, deux Égyptiens et une Tunisienne, ont été sélectionnés pour le prix Nobel de la Paix qui sera décerné vendredi à Oslo.

Lina Ben Mhenni, la «tunisian girl» en lice pour le Nobel, est d'ailleurs la vedette des photographes et caméras lundi à l'ouverture de la rencontre des blogueurs.

La jeune femme, très dénigrée sur le net depuis sa nomination --»il y a beaucoup d'égos dans la blogosphère», reconnaît un participant-- se montre très prudente quant à la signification de cette nomination.

«Il faut reconnaître le cyberactivisme comme un mouvement qui peut changer les choses, mais il ne faut pas oublier que la révolution tunisienne a commencé sur le terrain», dit-elle. En précisant qu'elle dédiera, si elle l'obtient, le Nobel aux «martyrs et aux blessés, à toute la Tunisie».

«Ce n'est pas Twitter, ce n'est pas Facebook qui ont fait les révolutions», souligne pour sa part Astrubal, de son vrai nom Riadh Guerfali, membre du site collectif tunisien Nawaat.

«Ici, nous sommes les enfants de ceux qui ont été emprisonnés, torturés, de ceux qui ont vraiment sacrifié leur vie», déclare-t-il à l'AFP.

«Aucune» influence en Syrie

En outre, la situation diffère d'un pays à l'autre. Si les réseaux sociaux ont eu un rôle dans les révolutions tunisienne et égyptienne, les blogueurs en Syrie n'ont «aucune» influence, estime la Syrienne Razan Ghazzawi, qui les estime à une trentaine tout au plus à l'intérieur du pays.

«Ils ne sont pas organisés, et si la plupart d'entre eux vont manifester sur le terrain, ils ne le racontent pas sur leur blogue», explique-t-elle.

En Libye, «il n'y avait guère que 5% de la population connectée et active sur internet, mais le conflit a favorisé le développement de la blogosphère», selon le Libyen Ghazi Gheblawi.

Si la fierté et le sentiment d'avoir joué un grand rôle sont partagés, l'élite du web arabe se pose aussi beaucoup de questions, notamment sur le rôle à jouer après les révolutions.

«Aujourd'hui, nous n'avons plus d'impact. Et nous avons perdu notre engagement», déplore un participant dans la salle.

«Les blogueurs peuvent influencer et changer le cours des choses, ils ne doivent pas rester de simples observateurs», exhorte l'Égyptienne Manal Hassan.

Certains font le plongeon. À l'instar de six autres blogueurs tunisiens, Astrubal est candidat sur une liste indépendante pour les élections historiques du 23 octobre en Tunisie.

«C'est bien beau de gueuler, mais quand on a la possibilité d'y aller pour défendre les valeurs pour lesquelles on se bat depuis des années, il faut le faire. De plus, je suis enseignant de droit constitutionnel et c'est une assemblée constituante que la Tunisie doit élire», sourit-il.

Le saut en politique n'a pourtant pas laissé de grandes traces jusqu'à présent. Slim Amamou, vedette du web tunisien, a été un éphémère secrétaire d'État à la Jeunesse dans le gouvernement formé après la chute de Ben Ali.

Il a démissionné quelques semaines plus tard, tout comme Lina Ben Mhenni a démissionné de la Haute instance chargée de piloter les réformes politiques en Tunisie.