Le blogue d'une «lesbienne syrienne», qui s'est révélé être un canular, met en exergue les risques de manipulation dans les réseaux sociaux mais ne devrait pas saper leur rôle moteur dans le «printemps arabe», estiment des experts.

Très populaire notamment auprès du public occidental, la blogueuse qui se faisait appeler «Amina Abdallah Arraf» et qui relatait son «combat» contre la répression du régime syrien n'était en réalité que Tom MacMaster, un barbu américain de 40 ans résidant en Écosse.

«Les médias sociaux sont une arme à double tranchant», affirme Robert Naouss, expert en communication au centre Carnegie pour le Moyen-Orient.

«Ils peuvent être un instrument très efficace pour encourager les changements sociaux et politiques, mais aussi impliquer des acteurs non pertinents qui peuvent leurrer» le public, dit-il.

L'imposture a provoqué la colère des militants et mis dans l'embarras les journalistes qui lui ont donné crédit, d'autant plus qu'Amina» avait rallié sur Facebook des milliers de personnes après l'annonce de son «enlèvement» à Damas.

«Plusieurs opposants syriens, notamment parmi les jeunes, craignent que leur blogue, leur prochain gazouilli ou affichage sur Facebook ne soient pas pris au sérieux», indique M. Naouss. «Ils font face au défi de la crédibilité, au test de l'authenticité».

Sur la page «Libérez Amina Abdallah», des internautes accusent aussi Tom MacMaster d'avoir donné un argument au pouvoir en Syrie, qui ne cesse de qualifier les informations relayées par les médias sociaux d'«affabulations» et de «complot occidental».

«Il a donné au régime syrien une arme de propagande pour dire "regardez ce que les gens sont en train d'inventer sur nous"«, écrit Randolph.

Mais ce canular aura au moins le mérite de pousser les lecteurs des blogues à faire preuve de plus de rigueur, notamment les journalistes qui reposent largement sur les médias sociaux traitant de la Syrie, où ils ne sont pas libres de couvrir la révolte réprimée dans le sang.

«On n'interviewe pas un fantôme. C'est un peu la responsabilité des journalistes d'avoir donné la voix à MacMaster dans des médias crédibles», estime Jad Melki, professeur de journalisme spécialisé des réseaux sociaux à l'Université américaine de Beyrouth.

«C'est un avertissement», affirme Bill Mitchell, du Poynter Institute, centre de recherches et école de journalisme en Floride, aux États-Unis. Ce canular est «un revers à court terme pour les blogueurs pro-démocratie (...) mais le public sera désormais plus prudent et ceci est une bonne chose».

Face au scepticisme, les militants anonymes devront s'ingénier pour prouver qu'ils sont des personnes réelles, ce qui n'est pas sans risque. «Ils doivent montrer qui ils sont au moins à une ou deux personnes à l'étranger, via caméra ou autre», dit M. Mitchell.

Si l'affaire d'«Amina» a certes pris la blogosphère au dépourvu, elle devrait rester un incident isolé à l'instar du canular de l'annonce de la «démission» de l'ambassadeur de Syrie à Paris sur France 24.

«Je ne pense pas que l'ensemble du concept du journalisme citoyen sera condamné à cause de cet incident», affirme M. Naouss. «Ils ont été déstabilisés mais ce n'est pas un coup fatal».

Pour M. Melki, il faut éviter de mettre tous les blogueurs «dans un même sac». «Il y a des blogueurs qui sont d'excellents journalistes, d'autres qui bloguent à propos de ce qu'ils ont mangé le matin et d'autres qui font circuler de fausses informations».

Il note que le blogue, rédigé en anglais, a été érigé en symbole dans les pays occidentaux mais n'était pas aussi populaire dans le monde arabe, où la cause des homosexuels reste tabou.

«En fin de compte, les vraies icônes, ce sont les gens qui sont en train de mourir pour leur cause à travers le monde arabe», souligne-t-il.