Ce n'est pas l'accès à l'information qui terrorise les dictateurs, c'est l'accès à la conversation.

C'est avec cette phrase percutante que Clay Shirky, véritable gourou dans le milieu des médias et des nouvelles technologies, a résumé les événements qui ont bouleversé le Moyen-Orient au cours des derniers mois.

Depuis hier et jusqu'à mardi prochain, des milliers d'adeptes des nouvelles technologies participent au festival South by Southwest, un véritable événement qui a pris d'assaut le centre-ville d'Austin, au Texas.

Professeur à l'Université de New York (NYU), conférencier et auteur de plusieurs essais dont Here Comes Everybody: The Power of Organizing Without Organizations, Clay Shirky prenait la parole en fin de journée devant plusieurs centaines de personnes qui l'ont accueilli avec une salve d'applaudissements.

«Les médias sociaux permettent aux gens ordinaires d'avoir accès à la communication, de partager leurs opinions et de synchroniser leurs actions. C'est ce qui fait trembler les régimes totalitaires partout dans le monde», a expliqué le conférencier devant un auditoire qui buvait littéralement ses paroles.

Le professeur de l'Université de New York a rappelé qu'il y avait une corrélation entre le niveau de pénétration de l'internet dans un pays et la santé de sa démocratie. Hillary Clinton ne déclarait-elle par récemment que l'utilisation des médias sociaux compte désormais au nombre des droits humains de base?

«Il y a quelque temps, a poursuivi cet observateur du web, le colonel Kadhafi a interdit les matchs de soccer. Il n'a pas peur du soccer, il a peur des stades de soccer, ces lieux de rencontre où les gens peuvent se parler, se consulter. C'est la même peur que face à Facebook.»

Clay Shirky étudie l'impact de l'internet sur la société depuis 1996. «Ce qui s'est passé au Moyen-Orient depuis 56 jours a des racines plus profondes qui remontent jusqu'en 2006 dans le cas de l'Égypte, alors qu'un mouvement politique se formait pour s'opposer à Moubarak. Les médias sociaux auront été l'outil de propagation comme l'a été l'imprimerie pour la montée du protestantisme.»

Aux yeux de Clay Shirky, l'utilisation des médias sociaux par les jeunes Égyptiens ainsi que l'utilisation du vocabulaire des médias sociaux jusque sur les pancartes des manifestants dans les rues du Caire (Moubarak #FAIL, #25jan) ne sont pas anodins. Ils marquent la division culturelle qui existe entre les jeunes Égyptiens et leurs parents, au même titre que le rock'n' roll, porteur d'un message social, distinguait les jeunes des vieux dans les années 1960. «Dans les deux cas, affirme-t-il, il y a un message de changement. Ces jeunes ont voulu dire: notre génération est différente de la vôtre.»

Les propos du professeur de la NYU tranchent avec ceux du journaliste Malcolm Gladwell du New Yorker qui ne manque pas une occasion de dire que les médias sociaux ne servent pas la révolution. Qu'est-ce que l'auteur de Tipping Point n'a pas compris? a demandé La Presse à Clay Shirky. «Je crois que Malcolm confond l'utilisation parfois idiote et superficielle qu'on peut faire d'Internet avec les motivations des utilisateurs, a répondu le professeur de la NYU. L'un n'exclut pas l'autre tout comme la superficialité des liens entre des individus n'a rien à voir avec la force de leur action et ce, même si elle est coordonnée avec l'aide des médias sociaux. On dirait que ce sont les médias dans leur ensemble que Malcolm ne comprend pas ...»

Comme un écho aux propos de Clay Shirky, dont le discours souligne l'importance de l'engagement social, le fil Twitter de SXSW a été envahi tout au long de la journée d'hier par des messages en lien avec le séisme au Japon. Des participants à la conférence ont lancé des collectes de fonds spontanées avec des mots-clé comme #sxswcares ou #sxsw4japan.

Le téléphone, cet espion?

On peut dire que le ton de la conférence de Marissa Mayer, vice-présidente, Produits de recherche et services aux utilisateurs chez Google, qui prenait la parole une heure plus tôt dans la même salle, tranchait avec celui de Clay Shirky. Mme Mayer a donné un aperçu de l'avenir de la consommation, un avenir où notre téléphone intelligent, grâce à toutes sortes de données de localisation et d'informations sur nos achats et nos sorties, pourra nous faire des recommandations encore plus précises que les désormais classiques «Amazon vous suggère». Dans un avenir pas si lointain, notre téléphone se souviendra de nos goûts et devancera nos envies en nous proposant un arrêt à un restaurant du quartier ou une soirée au cinéma. «Les systèmes sont tellement poussés aujourd'hui, a affirmé Marissa Mayer, que les compagnies de cartes de crédit sont capables de prévoir un divorce deux ans à l'avance seulement en analysant le changement dans les dépenses d'un couple...»

Ce sera aux consommateurs de décider s'ils veulent jouer le jeu ou pas.