Le trou noir virtuel provoqué par l'arrêt d'internet pendant cinq jours en Égypte a relancé le débat aux États-Unis sur l'étendue du pouvoir cybernétique dont doit disposer la Maison Blanche en cas de crise majeure.

Pour ses opposants, le projet de loi voulant mettre entre les mains du président américain «un interrupteur» du web («kill switch», littéralement interrupteur de la mort) met en danger la liberté d'expression et d'autres droits fondamentaux.

Mais pour ses partisans, ce texte, qui fait son chemin au Congrès, ne permettrait pas à Washington de suspendre internet en un clic.

Lorsque Hosni Moubarak a débranché internet dans tout son pays, les élus américains à l'origine du projet de loi ont aussitôt critiqué le président égyptien, estimant qu'il avait «totalement tort».

Les actions entreprises par M. Moubarak pour arrêter internet «étaient clairement destinées à faire taire les critiques internes visant son gouvernement», ont réagi les sénateurs Joe Lieberman (indépendant, président de la Commission de la Sécurité intérieure du Sénat), Susan Collins (républicaine) et Tom Carper (démocrate).

«Notre projet de loi sur la cybersécurité vise à protéger les États-Unis des cyberattaques provenant de l'étranger», se sont défendus les trois parlementaires dans un communiqué.

«Jamais nous ne signerions une loi autorisant le président, ou quiconque, à éteindre internet», ont-ils poursuivi, assurant qu'«urgence ou non, exercer un tel pouvoir constitue un affront à notre constitution».

Reste que «nos lois actuelles nous donnent des raisons de nous inquiéter», insistent les élus, dont le texte a déjà atteint le Sénat. S'il est adopté, il remplacera les pouvoirs «larges et ambigus» de l'autorité présidentielle par des attributions «précises et ciblées» qui ne pourront être invoquées qu'en cas d'urgence nationale, notent les sénateurs.

En juin, quelque 25 organisations de défenses des libertés civiles, parmi lesquelles l'Electronic Frontier Foundation (EFF) et la puissante ACLU (American Civil Liberties Union), ont écrit à MM. Lieberman et Carper et à Mme Collins pour leur faire part de leur inquiétude.

«Des changements sont nécessaires pour s'assurer que des mesures de cybersécurité n'empiètent pas sur la liberté d'expression, le respect de la vie privée et d'autres droits civiques», ont souligné les associations.

«Internet est fondamental à la liberté d'expression et à un libre accès à l'information, et les Américains s'en servent tous les jours pour recueillir et communiquer des renseignements», poursuivaient-elles.

Dans un blogue, la présidente de l'EFF, Cindy Cohn, estime pour sa part que «la leçon de l'Égypte est que personne, pas même le président des États-Unis, ne devrait avoir le pouvoir de débrancher internet».

En réponse, le trio s'est engagé à ce qu'une future loi «interdise explicitement au président de faire ce qu'a fait le président Moubarak».

«Notre loi contient déjà des garde-fous pour empêcher le président de refuser l'accès des Américains à internet», ont par ailleurs noté les sénateurs.

Selon James Lewis, expert en cybersécurité au Center for Strategic and International Studies (CSIS), les conditions requises pour se servir de cet «interrupteur de la mort» sont «très, très exigeantes».

Faisant le parallèle avec les mesures mises en place pour lutter contre la grippe aviaire, il explique à l'AFP que cette loi agit plutôt comme une «quarantaine» pour internet. Ainsi, dit-il, cette mesure permettrait d'éviter la contagion de l'ensemble du réseau en demandant à une entreprise infectée de se débrancher «en cas d'acte de guerre ou d'attaque terroriste majeur».