Le licenciement de salariés ayant critiqué leur entreprise sur Facebook, validé vendredi par les prud'hommes, illustre le manque de vigilance des internautes qui sous-estiment le caractère public des réseaux sociaux, estiment des experts.

«Facebook ni aucun des réseaux sociaux n'est votre salon, ce ne sont pas des espaces privés au sein desquels vous pouvez tenir n'importe quel propos sans peur des conséquences», a commenté l'avocate Diane Mullenex, à la suite de l'annonce de la décision du conseil des prud'hommes de Boulogne-Billancourt.

 

Fin 2008, depuis son domicile, un salarié d'Alten, s'estimant mal considéré par sa direction, avait ironisé sur sa page personnelle Facebook, en disant faire partie d'un «club des néfastes». Ce à quoi deux autres employés avaient répondu : «bienvenue au club».

Cette page avait été rendue accessible aux «amis des amis», dont l'un d'entre eux, également salarié d'Alten, avait informé la direction de ces échanges.

Trois salariés ont été licenciés pour «faute grave», leurs propos ayant été considéré comme un« dénigrement de l'entreprise» et une «incitation à la rébellion».

Le Code du travail donne le droit au salarié de critiquer son employeur (en interne comme à l'extérieur) mais il le soumet aussi à une obligation de loyauté vis-à-vis de son entreprise, ce qui exclut le dénigrement, la diffamation, la caricature, etc.

«En mettant un message de cette nature à des amis sur un réseau social, je ne peux exclure que l'un d'entre eux transfère ce message», indique Me Christiane Feral-Schuhl, auteur de l'ouvrage «Le droit à l'épreuve de l'internet».

«Le problème, c'est que les gens n'ont pas la conscience qu'ils ne sont pas sur un espace privé au sens confidentiel et protégé qu'ils peuvent avoir en tête», poursuit l'avocate car «une fois que c'est publié, on ne maîtrise pas ce qui se passe derrière, alors salariés ou pas, il faut être vigilant».

À la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil), l'analyse est la même.

Pour son président Alex Türk, «il n'y a pas encore eu la prise de conscience collective nécessaire». «Les gens ne se rendent pas compte que c'est une situation systématiquement piégeuse, car d'un côté, il y a le sentiment d'être entre amis, dans un réseau fermé et d'un autre coté, il y a le droit pur et dur qui s'applique», poursuit le responsable de la Cnil.

Au sujet du licenciement des trois salariés de la société Alten, M. Türk n'y voit pas une nouvelle jurisprudence. «Qu'un salarié qui a des propos injurieux ou dénigrants sur une entreprise puisse se voir mis en question, juridiquement ce n'est pas une nouveauté», dit-il en se pressant d'ajouter: «ce qui l'est, c'est que sur Facebook, on a aucune garantie de maîtriser la confidentialité des données».

"Et il faut en tirer les conséquences", tonne le président de la Cnil qui entend bien, malgré la pression des nouvelles technologies, se battre pour "éviter que la société domine notre vie privée".

Dans le contexte de l'entreprise, Diane Mullenex estime que «finalement seuls les courriers électroniques, correctement identifiés comme personnels, peuvent aujourd'hui être considérés comme relevant de la sphère privée des salariés».

En effet, l'employeur ne pourra pas avoir accès à des messages étiquetés «personnels», contrairement à tous les autres courriels envoyés et reçus sur son poste de travail.

Et tant que l'utilisation de sa messagerie à des fins non professionnelles reste «raisonnable», qu'elle n'affecte pas la sécurité des réseaux ou la productivité de l'entreprise, la Cnil estime qu'elle doit être «tolérée».