Officiellement, il faut avoir 13 ans pour avoir son profil sur Facebook. Mais les jeunes sont de plus en plus attirés, et de plus en plus tôt, par les réseaux sociaux. Dès 5, 6, 8 ans, ils veulent eux aussi compter leurs amis, jouer, et pourquoi pas «chatter». Comme des grands. Beau casse-tête pour leurs parents.

Ma fille, 9 ans, veut son propre FB. Ses arguments: «tt mes amies en ont un, pour s'aider avec nos devoirs et écrire +». #conseilsbienvenus

C'est le message, envoyé sur Twitter la semaine dernière, d'une mère en mal de conseils. Et s'il faut en croire les blogues technos et autres sites de conseils du genre, elle est loin d'être la seule avec ce cas de conscience.

Car si Facebook et The Social Network font la manchette ces jours-ci, le site de réseautage social préoccupe aussi de plus en plus de parents. Et pour cause: une étude récente, réalisée au Royaume-Uni, révèle qu'un jeune sur quatre âgé de 8 à 12 ans a déjà un profil sur un site du genre. Cela veut dire qu'un jeune sur quatre, avec ou sans le consentement de ses parents (un parent sur cinq n'est d'ailleurs apparemment même pas au courant), a volontairement menti sur son âge (il faut avoir 13 ans pour s'inscrire officiellement), pour ensuite afficher sa photo, quelques informations personnelles, et ses préférences diverses (Zac Efron, Justin Bieber, et autres Marie-Mai). La bonne nouvelle, que révèle par ailleurs cette étude britannique (réalisée par Ofcom, auprès de 7000 personnes), c'est que 83% de ces jeunes ont aussi un profil restreint (ouvert à leurs amis seulement). Et quand ils sont au courant, une majorité de parents (93%) supervisent aussi leurs enfants.

Oui mais s'ils ne sont pas au courant? Si l'enfant ouvre un compte en cachette? Ne vaut-il pas mieux l'encadrer?

Ce sont toutes ces questions que se pose Marie-Pierre*, dont la fille de 9 ans l'a prise récemment par les sentiments. «Maman, à l'école, toutes mes amies ont un compte! Je pourrais être amie avec mes cousines, ma mamie, ce serait le fun!». La mère savait que cette discussion, un jour ou l'autre, était inévitable. «Je suis moi-même sur Facebook. C'est là que les gens communiquent!»

Le hic, c'est que son conjoint, Sébastien, n'est pas de cet avis. Non seulement il s'inquiète de la protection de la vie privée de sa fille («C'est carrément une base de données!») et des «flâneries» virtuelles potentielles, mais il se demande quel impact cela peut avoir sur ses relations. «Facebook est un laboratoire. On ne sait pas quel impact cela peut avoir sur la vie sociale des jeunes.»

Deux points de vue qui résument à eux seuls le débat qui oppose aujourd'hui ceux qui sont plutôt en faveur des médias sociaux pour les jeunes, et ceux qui sont contre.

Et les relations humaines?

L'an dernier, le Kaiser Family Foundation a révélé que les jeunes Américains de 8 à 18 ans passent désormais plus de 7,5 heures par jour à utiliser toutes sortes de technologies (MP3, ordinateur, télé), et ce, en excluant l'utilisation des textos (très souvent leur mode de communication numéro un, avant le face-à-face).

Et qu'en est-il des relations humaines? s'interroge la psychiatre Alexandra Barzvi, jointe à ses bureaux du Child Study Center de l'Université de New York. «Avec la technologie, les amitiés changent très rapidement. C'est alors nettement plus difficile pour les jeunes de comprendre ce qu'est un vrai ami, dit-elle. C'est aussi beaucoup plus facile de prendre des risques, sans conséquence étant donné qu'il n'y a plus de face-à-face.» Sauf que les risques d'intimidation, eux, demeurent bien réels. Selon elle, un enfant ne peut pas ici saisir l'ampleur des enjeux. «Pas avant 13 ans, tranche-t-elle. Avant cet âge, un enfant ne peut pas gérer les enjeux émotifs. Sans parler des risques d'entrer en contact avec un éventuel prédateur. Il est préférable d'encourager un enfant de cet âge à avoir des interactions en face-à-face, à utiliser le téléphone, à inviter des amis.»

Même son de cloche de la part du directeur de l'éducation du Réseau éducation-médias, Matthew Johnson. Joint à Ottawa, il se dit très préoccupé par ces chiffres britanniques: «C'est toujours inquiétant de voir que les enfants vont dans des endroits qui ne leur sont pas destinés», dit-il. Le Réseau Éducation-Médias vient d'ailleurs de lancer une nouvelle recherche qui devrait nous donner une idée de l'ampleur du phénomène au Canada, sous peu.

«Ce n'est pas pour rien qu'il y a la règle des 13 ans, renchérit André Caron, titulaire de la chaire Bell sur les technologies émergentes à l'Université de Montréal. Les jeunes sont exposés de plus en plus tôt au monde adulte. Ce n'est pas nécessairement toujours mauvais, mais est-ce que c'est absolument nécessaire?»

Sociables, les jeunes sur les réseaux sociaux

Et pourquoi pas? Et si les réseaux sociaux ne changeaient finalement rien aux relations entre les jeunes? C'est la conclusion, surprenante, à laquelle arrive pourtant la psychologue américaine Amori Yee Mikami, de l'Université de Virginie, qui a publié une recherche cette année dans le magazine Developmental Psychology sur cette question. Pendant sept ans, son équipe a suivi près de 200 jeunes (âgés de 13 ans au début de l'enquête), pour comparer leurs relations réelles et virtuelles. Conclusion: «Ce sont les jeunes les mieux adaptés, avec le moins de problèmes de comportements, qui, sept ans plus tard, ont le plus tendance à être sur Facebook», conclut-elle. Selon elle, «cela tombe aussi sous le sens». Il y aurait sans doute beaucoup plus de correspondance entre les relations réelles et virtuelles qu'on ne le croit. «Facebook, c'est tout simplement un nouveau moyen pour les jeunes de se donner des nouvelles. Un nouveau moyen d'interagir avec les amis.»

C'est exactement le cas d'Andréanne, 11 ans, sur Facebook depuis deux ans déjà. «Ma fille est très sociable, note sa mère, Nancy. Elle téléphone beaucoup, "chatte" sur Facebook, visite beaucoup ses amies. Et les amies nous rendent visite beaucoup.»

«Peut-être qu'on n'a pas besoin d'être si préoccupés par les réseaux sociaux, finalement», reprend la psychologue. Selon elle, si un enfant de 8, 9 ou 10 ans se montre intéressé, peut-être est-ce finalement une excellente idée. Une occasion en or de l'éduquer, le sensibiliser à l'importance de sa vie privée, aux règles de base de la sécurité, dit-elle. «À cet âge, vous pouvez vous impliquer. Profitez-en, parce qu'à 17 ans, votre enfant ne vous écoutera plus autant!»

*Les noms de famille ont été volontairement omis, pour protéger la vie privée des personnes citées.