Oubliez l'alcool, la marijuana, l'ecstasy ou d'autres matières illicites. Ce qui allume les jeunes Américains, ces jours-ci, c'est une substance tout à fait licite: une musique aux effets apparemment dopants. Des policiers américains sonnent l'alarme. Nouvelle drogue ou vulgaire canular?

Une drogue numérique? Ça en a tout l'air. Ou musicale, si vous préférez. Baptisé i-dosing, ce nouveau phénomène a été popularisé par le site i-Doser, lequel offre des musiques téléchargeables qui visent à «altérer vos émotions» à l'aide d'effets similaires à ceux de la marijuana, du LSD ou, pourquoi pas, de l'orgasme.

À l'aide d'un battement dit «binaural», c'est-à-dire différent d'une oreille à l'autre, que l'on écoute à l'aide d'un casque, on propose plusieurs effets musicaux, les plus populaires étant l'orgasme, le peyotl, la mari et l'ecstasy, le tout pour 3$ ou 4$ la chanson.

La semaine dernière, après avoir reçu plusieurs coups de fil de parents inquiets, un porte-parole de la section des stupéfiants de la police de l'Oklahoma a finalement tiré la sonnette d'alarme: «Les jeunes arrivent en hordes sur ces sites pour voir de quoi il s'agit, et cela risque de les mener ailleurs...» a-t-il déclaré à une chaîne de télé locale.

Il faut dire que le site i-Doser, officiellement réservé aux plus de 18 ans, recense plus de 1 million de téléchargements et publie les commentaires des adeptes, qui se disent tous très agréablement gelés par leur expérience.

«Je me suis mis à zigzaguer et à rire pour tout et pour rien»; «je n'arrêtais pas de rire et ma chambre a même changé de couleur»; «j'avais l'impression très agréable qu'un Na'vi (personnage bleu du film Avatar) me mordillait et m'embrassait», etc.

Sur YouTube, où l'on trouve plusieurs musiques du genre, des dizaines et des dizaines de jeunes ont aussi affiché des vidéos qui les montrent, sous influence, écouteurs aux oreilles.

Sans surprise, la mise en garde de la police américaine a rapidement fait le tour de la planète. Les blogueurs de tous les médias, notamment Les Inrockuptibles et le Telegraph, ainsi que plusieurs revues technos et scientifiques comme Wired et Psychology Today ont analysé et même testé le phénomène.

Le trip? Quel trip?

Verdict? «Toujours ce sentiment que quelqu'un a oublié d'éteindre la douche», écrit le blogueur des Inrocks après avoir passé plusieurs minutes à écouter une musique «vaguement new age, agrémentée de cris de cormorans le soir au-dessus des jonques».

«C'est, en gros, un bip. Un bip prolongé, en fait», ajoute le blogueur du Telegraph. Et que dire du trip? Rien. «Merci mademoiselle. Mais si la chanteuse a joui (même si je la soupçonne d'avoir simulé), moi rien», conclut Les Inrocks.

Plus sérieusement, cette «drogue» qui «n'en est probablement pas une», précise Psychology Today, n'a rien de neuf. Découvert en 1839, le battement binaural a motivé toutes sortes de recherches sur les rythmes du sommeil, le traitement de l'anxiété, etc. Mais jusqu'ici, aucun lien de cause à effet n'a été prouvé.

«Les sons dans l'environnement sont naturellement binauraux», explique Robert Zatorre, professeur de neurosciences à l'Institut neurologique de Montréal.

Les sons n'arrivent en effet pas en même temps dans les deux oreilles, mais toujours avec un léger décalage, lequel peut être reproduit numériquement grâce aux écouteurs. «Mais c'est connu depuis des siècles! Ce n'est rien d'autre que l'illusion d'un son qui bouge d'une oreille à l'autre», poursuit le professeur, également codirecteur du Laboratoire international de recherche sur le cerveau, la musique et le son (BRAMS) de Montréal. «Il n'y a aucune preuve que ça peut changer quoi que ce soit dans l'état mental.»

Que penser alors des témoignages des jeunes «gelés» par la musique? «J'aimerais savoir ce qu'ils ont pris avant de l'écouter», répond-il. Selon lui, en l'occurrence, la musique agit plutôt sur différents aspects psychologiques, et non physiologiques. D'abord, dit-il, «il y a l'effet relaxant de la musique elle-même». Ensuite, il y aurait l'effet de «suggestion». «Et c'est très important, c'est un effet placebo, finalement. Les gens lisent toutes sortes de témoignages et s'emballent. C'est très puissant psychologiquement, mais pas physiologiquement.»

D'où sa conclusion: «Ce n'est pas du tout nocif. Et si les jeunes font ça au lieu de prendre des drogues, les parents devraient se réjouir, à mon avis.»

Quant à ceux qui craignent l'escalade, il rétorque: «C'est complètement absurde! On disait la même chose de la musique d'Elvis Presley à l'époque: que cela allait rendre les gens étourdis, drogués et sexuellement actifs...»