Tapis dans les rubriques de commentaires des sites internet, ils envoient des messages incendiaires, insultants ou diffamatoires, retranchés derrière un prudent anonymat, et sont la hantise des sites d'informations cherchant à lancer des discussions éclairantes.

Les responsables des pages web des journaux les surnomment «trolls des commentaires», en référence aux esprits malveillants des légendes scandinaves, et le meilleur moyen de les contrer fait débat entre journaux américains.

Lundi, le Buffalo News, dans le nord de l'État de New York, a annoncé qu'il allait exiger que les commentateurs sur son site s'identifient.

«Nous allons demander que les commentateurs donnent leur vrai nom et le nom de la ville où ils habitent, et cela apparaîtra sur leurs commentaires, comme les lettres à la rédaction» publiées dans l'édition papier, a indiqué la rédactrice en chef Margaret Sullivan.

D'autres site interdisent complètement les commentaires, d'autres encore tentent la mise en place de filtres électroniques pour éliminer les grossièretés.

Au New York Times par exemple, des modérateurs lisent les commentaires avant qu'ils soient mis en ligne. D'autres demandent aux commentateurs de laisser leur adresse électronique ou comptent sur les lecteurs pour signaler les messages les plus offensants, afin qu'ils soient éliminés.

Le Buffalo News, qui tire à quelque 162 000 exemplaires en semaine et 244 000 exemplaires le dimanche, semble être parmi les premiers à exiger que les commentateurs sur internet livrent leur identité.

Mme Sullivan a indiqué dans un éditorial que cette décision était l'aboutissement de «pas mal de débats en interne» et serait mise en oeuvre à partir du mois d'août.

«Nous avons instauré les commentaires en ligne il y a à peu près un an, pour ouvrir un dialogue avec nos lecteurs en ligne et leur permettre de donner leur point de vue, d'ouvrir des débats sur les sujets du jour», a rappelé Mme Sullivan.

«Mais rapidement cette pratique a dégénéré», a-t-elle ajouté. «Les commentaires des lecteurs peuvent ne pas être beaux à voir, et racistes».

D'après Dan Kennedy, professeur de journalisme à l'université Northeastern à Boston, le Buffalo News pourrait lancer une tendance. «Je crois qu'on arrive à un moment où beaucoup de gens remettent en cause les commentaires anonymes», a-t-il indiqué à l'AFP.

Rem Rieder, rédacteur en chef de l'American Journalism Review, a salué l'initiative du Buffalo News. «La possibilité de lancer de violentes attaques derrière la sécurité d'un ordinateur, sans nom, a fait des merveilles pour le niveau de courage des gens en colère», a-t-il relevé sur un ton sarcastique.

M. Rieder relève que les sites internet sont le plus souvent protégés contre les poursuites, mais que plusieurs journaux ont dû affronter des poursuites pour diffamation en raison des commentaires de lecteurs.

«Ce n'est pas dans l'intérêt des journaux de tolérer des attaques anonymes», fait-il valoir.

Sur le site du Buffalo News, les réactions étaient partagées. «Oui! il était largement temps que ça change», a écrit un internaute s'identifiant seulement comme «itsme» («cestmoi»).

«Je n'aime pas l'idée de donner mon vrai nom sur des sites comme celui-là, parce qu'il y a beaucoup de tarés dans le monde», réagissait en revanche «Justathought26.»

«C'est la fin de la liberté d'expression et des critiques franches», s'est inquiété «tommyd», n'hésitant pas à prédire que, de toutes façons, «la version en ligne du News, tout comme la version papier, va bientôt disparaître».