Nancy Roy, conférencière sur les dangers du web, veut sensibiliser les gens au phénomène de la cyberdépendance. Selon elle, des parents ne se doutent pas que leur enfant se lève la nuit pour jouer en ligne, et des femmes ignorent que leur mari a quitté son emploi pour passer plus de temps devant l'ordinateur.

«Le problème de la cyberdépendance est l'isolement, explique-t-elle. Cela peut mener au décrochage scolaire ou encore au divorce.»

Des 40 000 personnes qui ont consulté dans les centres de réadaptation en dépendances du Québec en 2007, seulement une centaine l'ont fait en raison de leur rapport à l'internet. «Ce sont des gens qui se sont présentés dans des centres où l'on traite la dépendance à l'alcool, aux drogues et au jeu, précise Louise Nadeau, directrice scientifique de l'Institut universitaire sur les dépendances du Centre Dollard-Cormier. Le problème, avec la cyberdépendance, c'est qu'on ne sait pas si c'est un trouble mental ou non.»

Selon de récentes recherches, il y aurait de 6% à 15% de cyberdépendants chez les internautes. Mais il n'y a pas consensus sur les critères diagnostiques et la question de savoir si on devrait inclure la cyberdépendance dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM) ne fait pas l'unanimité.

«Qu'est-ce qu'une dépendance? C'est quand on n'est pas capable de s'arrêter dans une conduite. La personne a un sentiment intime de perte de liberté, avec des pensées envahissantes», explique Mme Nadeau, qui est aussi professeure au département de psychologie de l'Université de Montréal.

Des alcooliques, par exemple, vont refuser d'aller souper chez des gens qui ne servent pas d'alcool. «Il y a des problèmes concrets, des effets négatifs. Notre femme nous quitte, ça ne marche plus au travail...»

La cyberdépendance est plus complexe, car les gens se créent une identité virtuelle sur le web, et cela les valorise.

Trouble mental ou non, des gens souffrent, indique la psychologue Sylvie Gagnon, impliquée dans le projet du Centre Dollard-Cormier. «On voit des gens qui sont très conscients que c'est un substitut à leur vie réelle, mais ils sont très investis dans leur vie virtuelle.»

«Il y a des gens qui cognent à nos portes, mais nos cliniciens ne sont pas informés, souligne-t-elle. On ne connaît pas grand-chose sur la cyberdépendance.»

«Tu fais juste ça»

Zachary (nom fictif), un Montréalais de 19 ans, a joué intensément à World of Warcraft pendant quatre ans, mais il a arrêté. «C'est un jeu qui prend bien du temps. C'est un monde infini. Il y a toujours des gens en ligne et tu peux toujours être meilleur. Mais à un moment donné, tu fais juste ça, explique-t-il. Il y a des jours, je pouvais jouer 16 heures. C'était une phase de ma vie, une échappatoire. J'avais quelque chose de plus pour me divertir que de voir mes amis. Aujourd'hui, j'ai un band, j'ai un boulot.»

WoW est conçu pour que les joueurs veuillent toujours jouer de plus en plus. Zachary a même vendu un de ses personnages pour 300$. «C'est juste une machine à faire de l'argent. Ils sortent tout le temps des trucs pour que tu joues plus.»

Mais le jeune adulte ne pense pas avoir été complètement accro. «Je savais que je jouais beaucoup et je ne pense pas que c'était une perte de temps. Je vois ça comme un passe-temps, explique-t-il. Il m'est arrivé de ne pas aller prendre une bière avec mes amis pour jouer à l'ordinateur. Ça empiète beaucoup sur la vie sociale. Mais est-ce simplement parce qu'on préfère jouer à l'ordinateur ou parce qu'on n'est vraiment pas capable de s'en empêcher?»

Blizzard Entertainment, l'éditeur de World of Warcraft, n'a pas pu faire suite à nos demandes d'entrevues.

De «vrais» contacts

Pour certaines personnes, il est plus facile d'aborder quelqu'un par l'internet qu'en personne. Au bout du compte, elles peuvent en venir à trouver leurs activités virtuelles plus intéressantes que leur propre vie. «Les gens les plus vulnérables sont les introvertis, ceux qui ont moins d'habiletés sociales», explique Louise Nadeau.

Pour les parents - qui sont souvent à des années-lumière de leurs enfants au chapitre des connaissances informatiques-, il est difficile d'imposer des limites, surtout aux plus vieux de 15 à 17 ans.

Louise Nadeau rappelle simplement l'importance de la communication. «La belle chambre pour que l'enfant fasse ses devoirs tranquille, c'était avant, lance la psychologue. Les salles de télé doivent être des salles d'internet. Il faut aussi préserver les rituels familiaux.»

Sa conclusion: «Les membres d'une famille doivent manger ensemble.»

.....

> Et Facebook?

Peut-on être dépendant des réseaux sociaux comme Facebook et Twitter? Les experts ne s'entendent pas sur une limite, et la ligne est mince entre procrastination, dépendance et curiosité malsaine. Il reste que des gens consultent leur profil des dizaines de fois par jour, ce qui nuit à leur vie professionnelle ou à leurs notes à l'école.

Il existe aussi des sites pour les accros de Facebook. Annie y confie que, après que son copain l'eut larguée, elle ne pouvait pas s'empêcher d'aller voir le profil de son ex sur Facebook. De son côté, David est réticent à partir dans un chalet sans accès internet parce qu'il a peur de «manquer quelque chose».

D'autres ne peuvent pas souper sans leur BlackBerry. Selon un sondage réalisé par Crowd Science, les téléphones augmentent par ailleurs l'utilisation des réseaux sociaux. Près d'un utilisateur de Twitter sur cinq admet qu'il a consulté le site même aux toilettes, et plus de 10% des habitués de Twitter admettent l'avoir fait en conduisant.

> Un problème majeur

Selon une revue de la littérature réalisée par Didier Acier, psychologue et chercheur à l'Institut universitaire sur les dépendances du Centre Dollard-Cormier, entre 0,5% et 2% de la population générale serait atteinte de cyberdépendance. Ce taux serait plus élevé chez les garçons de 14 à 20 ans. Parmi les internautes, la proportion de cyberdépendants se situe entre 6% et 15%. Il n'y a toutefois pas de consensus dans la communauté scientifique quant aux critères diagnostiques.

En 2005, parmi les Canadiens âgés de 9 à 17 ans, près de quatre sur 10 (37%) avaient leur propre ordinateur, selon le Réseau Éducation-Médias. Ces jeunes ont passé en moyenne deux fois plus de temps en ligne que les autres.

Dans un sondage en ligne mené par l'organisme Jeunesse, j'écoute auprès de 2800 jeunes, 11% des répondants ont dit qu'ils seraient incapables de cesser d'eux-mêmes de jouer en ligne, alors que 59% admettent que cela nuit à leurs travaux scolaires. Chez les garçons, 15% y consacrent plus de 20 heures par semaine, contre 8% chez les filles.

La Chine et la Corée du Sud considèrent la cyberdépendance comme un problème majeur de santé publique. On y trouve plusieurs centres de traitement.

59%: PROPORTION DE JEUNES QUI ONT RÉPONDU DANS UN SONDAGE QUE LE FAIT DE JOUER EN LIGNE NUISAIT À LEURS TRAVAUX SCOLAIRES.