La mort de Lhasa de Sela, au début du mois, a tristement ramené au premier plan le grand pouvoir des réseaux sociaux. D'abord annoncée sur Facebook par un proche de la chanteuse, avant de l'être sur Twitter puis dans les médias traditionnels, l'annonce précipitée du décès de l'artiste montre qu'à l'ère du web 2.0, ce qui est privé peut à tout moment devenir public.

Bien qu'il ne possède qu'une vingtaine d'amis sur le réseau Facebook, le beau-père de Lhasa a révélé son décès au monde entier lorsqu'il a rendu hommage à la chanteuse sur son «mur», le 2 janvier.

 

Une partie de son profil Facebook est publique, ce qui signifie que tous les utilisateurs du site peuvent y avoir accès. C'est également le cas de millions de membres de Facebook qui publient, parfois sans le savoir, des informations accessibles à tous ceux qui ont un accès à l'internet. Ce qu'on croit écrire à un groupe restreint de gens devient alors de notoriété publique.

Il existe une confusion autour de ce site, croit Tamir Israel, avocat à la Clinique d'intérêt public et de politique d'internet du Canada (CIPPIC) de l'Université d'Ottawa.

«Les gens qui écrivent sur des blogues ou sur Twitter savent qu'ils communiquent avec le monde entier. Mais la perception qu'ils ont de Facebook est différente. Toute l'image du site est basée sur le fait qu'on partage ses informations avec des amis et la famille, et c'est la perception que les gens ont», dit-il.

C'est en tout cas celle de Jessica, 28 ans, qui tient un blogue et a près de 300 amis sur le site de réseautage social. Elle fait une nette distinction entre ses deux présences sur le web et utilise Facebook pour communiquer avec sa famille éloignée et ses amis.

«Facebook, c'est plus privé. Le niveau de confiance est plus élevé. Je ne mettrais jamais de photos de ma fille dans son bain sur mon blogue. Mais je serais surprise qu'il y ait un pédophile dans mes contacts Facebook», dit-elle en riant.

Une mine de renseignements personnels

Tout n'est pas privé sur Facebook et la Granbyenne Nathalie Blanchard l'a appris à la dure. La jeune femme de 29 ans, en arrêt de travail pour cause de dépression, soutient que sa compagnie d'assurances a suspendu ses prestations après avoir vu sur Facebook des photos d'elle en train de s'amuser.

La compagnie en question, Manuvie, ne figurait naturellement pas dans sa liste d'amis. Elle a malgré tout réussi à avoir accès à son profil. L'affaire est maintenant devant la Cour supérieure, mais une chose est d'ores et déjà certaine : la compagnie d'assurances reconnaît qu'elle a parfois recours à des sites comme Facebook pour enquêter sur ses clients.

L'avocat de défend Nathalie Blanchard affirme que ce n'est pas la première fois qu'il a affaire à un cas du genre. «C'est devenu assez courant, surtout dans les dossiers devant le Tribunal administratif du Québec, dit Me Thomas Lavin. Par exemple, pour piéger une personne qui est supposée être invalide. Avant, des moyens comme la filature étaient utilisés, mais c'est cher. Les suspects sont maintenant filtrés en utilisant Facebook et d'autres informations disponibles sur l'internet.»

Nathalie Blanchard est toujours présente sur Facebook. Son avocat ne lui a pas conseillé de retirer son profil puisque, dit-il, «le mal est fait». Mais il conseille aux autres d'être prudents.

«C'est un outil qui est parfois utilisé en cour pour attaquer la crédibilité des gens. Je pense que ceux qui sont dans des situations vulnérables doivent faire attention à ce qu'ils écrivent sur l'internet», dit Thomas Lavin.

De plus en plus utilisé, Twitter peut également en dire long sur ses utilisateurs. Le site de micro-blogues a récemment lancé une nouvelle fonctionnalité qui permet à ses membres de géolocaliser leurs messages, si bien que tout ce qu'ils écrivent peut-être assorti de coordonnées géographiques très précises.

Un simple message sur Twitter ou Facebook peut mettre la puce à l'oreille de gens mal intentionnés. Un internaute américain cité cet été par ABC soupçonnait qu'un message sur Twitter, dans lequel il disait être en voyage , pourrait avoir incité des voleurs à se présenter chez lui.

«Si j'écris sur l'internet que j'habite dans tel quartier de Longueuil, que mon dépanneur du coin c'est Chez Joe, que je mets une photo de ma maison et que je me réjouis parce que je pars une semaine en République dominicaine, c'est risqué. Les gens ne réfléchissent peut-être pas suffisamment», dit Jacques Viau, directeur de l'Institut de sécurité de l'information du Québec.

Il déplore que certains réflexes disparaissent sur la planète internet.

«Je me demande toujours pourquoi, dans cet environnement virtuel, les gens n'ont pas les mêmes mécanismes de protection et de défense qu'ils ont dans la vie courante. On ne voit pas qu'il y a des millions de personnes qui passent et on n'a pas tendance à se méfier de ce qu'on ne voit pas», dit-il.

Les internautes doivent se préoccuper des questions de vie privée et d'internet avant qu'ils n'y soient contraints, dit-on au CIPPIC.

«La protection de la vie privée ne pose jamais problème, jusqu'à ce qu'un problème survienne», résume Tamir Israel.