Alors qu'après la France, le Royaume-Uni s'apprête à punir par des coupures d'accès à internet les téléchargements illégaux, un accord a été trouvé jeudi au niveau européen pour mettre des garde-fous à de telles sanctions.

Après des mois de bataille, le Parlement européen et les gouvernements de l'UE se sont entendus pour autoriser les coupures d'accès internet mais seulement sous certaines conditions.Il faudra «une procédure préalable juste et impartiale» garantissant «le respect de la présomption d'innocence» et assurant «le droit d'être entendu» pour se défendre pour la personne visée, prévient le compromis.

Un libellé où même l'eurodéputé «pirate» suédois Christian Engström voit «un pas dans la bonne direction bien plus grand que ce que j'aurais osé espérer».

Cela assure que «les lois sur une «riposte graduée» qui couperaient l'accès internet sans une procédure préalable juste et impartiale ne feront certainement pas partie de la législation européenne», juge aussi la commissaire européenne chargée des nouvelles technologies, Viviane Reding.

La «riposte graduée» est le système par lequel la France lutte contre les téléchargements illégaux de musique ou de films sur internet: d'abord des avertissements puis une coupure de l'accès internet. Le Royaume-Uni envisage aussi d'y avoir recours.

Le Parlement européen, hostile depuis le départ, a tenté plusieurs fois de s'opposer en insérant dans une vaste réforme du marché européen des télécoms un amendement stipulant que la coupure de l'accès internet doit faire l'objet d'une décision judiciaire préalable.

La loi française prévoyait en effet initialement que la coupure soit décidée par une autorité administrative, baptisée Hadopi. Après une censure du Conseil constitutionnel, la décision a été transférée à un juge dans un second texte dit «Hadopi II».

Les eurodéputés estiment que le nouveau compromis va plus loin que leur amendement précédent.

Il renonce à déterminer qui décide de la coupure d'accès, un choix qui peut désormais revenir à une autorité judiciaire ou administrative, mais fixe plus précisément les conditions de la décision.

La loi française devient-elle pour autant compatible? Pour la socialiste française Catherine Trautmann, rapporteur parlementaire, «la réponse est non».

Hadopi II a bien «imposé le recours à un juge» mais conserve la possibilité d'une «procédure rapide non contradictoire», fait-elle valoir. Hadopi II permet en effet d'utiliser «la procédure simplifiée de l'ordonnance pénale», sans débat préalable et avec un juge unique.

Le compromis européen prévoit certes des exceptions pour des raisons de sécurité nationale, mais «la décision doit être motivée, argumentée par une urgence démontrée», souligne Catherine Trautmann.

Si cela s'applique aux cas de terrorisme ou de pornographie infantile, difficile en revanche de convaincre que des téléchargements illégaux de musique portent atteinte à la sécurité nationale.

L'accord doit encore être validé par un vote en plénière du Parlement européen (qui avait rejeté par surprise en mai le précédent compromis) et une décision formelle des gouvernements de l'UE. Mais il devrait débloquer tout un paquet de réforme censé également améliorer la régulation du secteur européen des télécoms et les droits des consommateurs.

Le débat est toutefois loin d'être terminé.

«La seule réponse claire sera donnée par un tribunal», a estimé l'eurodéputé vert Philippe Lamberts, qui appelle à être «extrêmement vigilant à la façon dont ce texte sera mis en oeuvre», en particulier en France et au Royaume-Uni.

La protection des droits d'auteurs à l'heure d'internet s'annonce en outre d'ores et déjà comme un grand chantier de la prochaine Commission européenne.