L'internet, qui a pratiquement entraîné la mort de l'industrie du disque, est au contraire exploité avec succès par les studios de télévision et de cinéma, qui y réussissent même mieux que certains pionniers de ce nouveau média.

L'échec du site de vidéos indépendant Joost, qui a décidé la semaine dernière de changer de modèle économique pour devenir un simple portail, est emblématique, selon plusieurs experts.

Fondé en 2007 par des spécialistes des échanges de fichiers (peer-to-peer), Joost a fini par concéder qu'il n'avait pas la masse critique pour attirer assez de recettes publicitaires.

Pendant ce temps, des sites financés ou directement gérés par des studios hollywoodiens prospèrent, à commencer par Hulu, émanation de NBC et Fox, rejoints ce printemps par Disney.

Hulu s'est hissé à la troisième place des sites de vidéos aux États Unis - loin derrière YouTube (groupe Google), qui reste encore essentiellement un site de partage de clips d'amateurs, mais très proche des sites Fox (groupe News Corporation).

«Les chaînes de télévision se sont très judicieusement taillé un espace sur le web», explique à l'AFP Joe Turro, enseignant à l'école Annenberg de communications à l'université de Pennsylvanie.

«Au début, il y a trois à cinq ans, les chaînes de télévision ignoraient l'internet», se souvient Paul Levinson, à l'université new-yorkaise de Fordham.

Puis elles se sont inquiétées des risques de piratage, avant d'utiliser l'internet à deux fins. «Elles ont vu l'internet comme un outil de promotion de leurs propres émissions», et comme nouvelle source de revenus publicitaires, qu'il fallait éviter de partager avec des opérateurs dans la mesure du possible.

«À notre époque, il faut être présent sur internet, et ne pas laisser d'autres y être à votre place», explique M. Levinson.

En outre, les studios ont les moyens de capitaliser sur leur image de marque.

«À la différence de YouTube, où les annonceurs ont parfois peur de faire de la pub parce qu'ils ne savent jamais sur quel contenu ça ira, parce qu'ils ont peur de se retrouver dans l'embarras, les sites des grandes chaînes», avec leurs séries reconnues, «sont intéressantes pour beaucoup d'annonceurs», explique M. Turro.

D'ailleurs YouTube sent bien la menace: alors que Google cherche désespérement à rentabiliser cette coûteuse acquisition (1,65 milliard de dollars déboursés en 2006), il a annoncé en avril des accords avec Sony Pictures, MGM, CBS, Starz, Lionsgate «et bien d'autres» pour diffuser leurs programmes - et y accoler un nouveau format publicitaire.

Un risque pour les studios, c'est «la cannibalisation», craint Andrew Frank, du cabinet de marketing Gartner. «Je soupçonne que quand Hulu aura beaucoup de pub et commencera à concurrencer la télévision, ça pourra devenir un problème pour les studios, qui ne veulent pas cannibaliser leur meilleure source de revenus (ndlr: la publicité à la télévision), et qui ne veulent pas non plus remettre en cause les redevances versées par les câblo-opérateurs».

Mais M. Levinson juge ce risque encore négligeable parce que, dans le contexte de crise actuelle du moins, les chaînes de télévision sont contentes de pouvoir vendre des espaces publicitaires sur internet, même relativement bon marché. De surcroît, le web permet de rentabiliser d'énormes ressources non exploitables à l'antennne.

«Il y a une énorme quantité d'idées qui ne trouvent pas de place à la télévision», parce qu'«il n'y a que 24 heures de diffusion» dans une journée, alors que sur internet au contraire «il n'y a pas de limite».