A 10 heures du soir, Phan Le Hong Duc n'était pas rentré. Consciente de sa dépendance aux jeux en ligne, sa mère est partie faire la tournée des cafés internet du quartier.

«Ils disaient qu'il n'y avait pas d'enfants à l'intérieur mais je savais qu'il y en avait, de l'extérieur j'entendais le bruit des jeux», se souvient Le Thi Hoang, 54 ans.A 5 heures du matin, Duc refaisait surface. Il avait besoin d'aide et c'est vers le premier centre du Vietnam pour jeunes «accros» aux jeux en ligne que sa mère s'est tournée.

L'internet a explosé ces dernières années dans le pays communiste. Un quart des 86 millions d'habitants y auraient désormais accès.

Si la toile a décuplé les sources d'informations d'une population habituée à la censure des médias officiels, les cafés internet sont surtout remplis de jeunes, voire très jeunes, joueurs en ligne.

Fin 2008, le consultant américain Pearl Research, spécialisé dans le divertissement interactif, prévoyait que leur nombre dépasserait les 10 millions en 2011. Le phénomène a même déjà gagné les campagnes.

«Je ne sais pas si je peux me dire dépendant des jeux en ligne», lâche Nguyen Nam Cuong, 15 ans, concentré sur sa partie dans un café internet de la capitale Hanoï. Les jours d'école, il passe une à deux heures devant un ordinateur. Les jours fériés, deux fois plus.

Autour de lui, les 30 ordinateurs de la pièce sont presque tous occupés.

Nguyen Thanh Nhan, le directeur du premier centre dédié au problème, à Ho Chi Minh-Ville (ex-Saïgon, sud), ne sait pas combien de jeunes auraient besoin d'aide. Mais «le nombre est très élevé», indique-t-il, affirmant avoir reçu des milliers de coups de téléphone.

Duc a participé au premier cours du centre en novembre, avec 19 autres adolescents. Pour 16 jours, sa mère a déboursé 3,5 millions de dongs (environ 140 euros), une somme non négligeable dans un pays où les salaires minimum légaux tournent autour de 50 dollars.

Quand il a commencé à jouer, c'était au début «cinq à six jeures par jour», raconte-t-il. Mais cela s'est accentué progressivement. Au plus fort, il jouait parfois «jusqu'à dix heures toute la nuit», confie-t-il dans un entretien arrangé par l'Union de la jeunesse communiste de l'ex-Saïgon.

Son argent du petit-déjeuner (20.000 dongs, un peu moins d'un euro) lui permettait de tenir au moins cinq heures dans un café internet.

«Je ne mangeais rien, non», poursuit-il.

Par dépendance, certains se mettent parfois à voler, quittent l'école, deviennent violents, explique Nguyen Thanh Nhan.

Son centre s'est inspiré d'expériences chinoises et sud-coréennes mais a développé ses propres techniques.

Il propose une sorte de thérapie de groupe, pour que les jeunes «puissent partager leurs sentiments», explique-t-il. L'idée est aussi de rétablir des liens avec le milieu familial via de simples activités comme la confection d'un gâteau ou un barbecue.

Les jeunes réapprennent encore à s'exprimer par eux-mêmes, les orientent vers de nouvelles activités.

«Tout d'un coup, ils découvrent qu'ils aiment le foot ou le hip-hop», poursuit le directeur. Il estime que 90% des jeunes qui passent par son centre arrêtent de jouer.

Pour juguler un phénomène croissant, le gouvernement a tenté de réguler les jeux en ligne.

Mais Nguyen Thanh Nhan est persuadé que cette méthode n'est pas la bonne. «Nous devons changer les consciences, les comportements des enfants eux-mêmes», estime-t-il.

Lors de son passage dans le centre, Duc s'est justement découvert un goût pour le hip-hop. Et même sans musique de fond, il insiste pour faire une démonstration.

L'adolescent se contorsionne, ses bras bougent lentement, ses pieds glissent. Il se laisse tomber, se relève et repositionne sa casquette sur le côté. La danse du succès.