Le Parlement européen a confirmé mercredi son opposition à toute coupure d'accès internet sans décision de justice préalable, dans une nouvelle attaque contre un projet français visant à lutter contre les téléchargements illégaux.

À une large majorité (407 voix pour, 57 contre et 101 abstentions), les eurodéputés ont réintroduit en deuxième lecture un amendement stipulant que les droits fondamentaux des internautes ne pouvaient être restreints «sans décision préalable des autorités judiciaires».Cet amendement est clairement dirigé contre le mécanisme français de «riposte graduée» contre le piratage, dont le président Nicolas Sarkozy a fait une priorité et qui sera voté le 12 mai par l'Assemblée nationale française.

Il permettra à une autorité administrative et non judiciaire, baptisée Hadopi, de suspendre l'accès internet des internautes qui téléchargent illégalement des contenus culturels, après deux avertissements.

A plein régime, l'Hadopi est censée quotidiennement envoyer 10.000 avertissements et prononcer 1000 coupures d'accès à internet.

La ministre française de la Culture, Christine Albanel, a réaffirmé mercredi que l'amendement européen «ne remet en aucune façon en cause le projet de loi», car «aucun pays du monde» ne considère l'accès à internet comme une liberté fondamentale.

Le vote européen est «une nouvelle claque pour Sarkozy et le gouvernement français», estime à l'inverse un des auteurs de l'amendement, le socialiste français Guy Bono.

Son co-auteur, le vert Daniel Cohn-Bendit, juge aussi que le président français «ne peut désormais plus ignorer cette position très majoritaire du Parlement européen».

Les eurodéputés sont toutefois revenus sur un compromis négocié avant le vote avec les Etats de l'UE, qui retenait une formulation atténuée. Et ce faisant, ils hypothèquent une vaste réforme du marché européen des télécoms (sans rapport avec cette polémique sur l'internet) dans laquelle l'amendement a été glissé.

«Je regrette que ce débat ait été posé dans ces termes», a jugé l'un des rapporteurs parlementaires, la socialiste Catherine Trautmann, se plaignant de la volonté de «valider un contenu d'une loi nationale qui n'avait pas encore été débattue par le Parlement concerné».

Pour elle, «le Parlement a envoyé un message politique très clair» et «qui doit être entendu».

«La balle est maintenant dans le camp du Conseil» qui réunit les représentants des Etats de l'UE, dont la France, a aussi estimé la commissaire européenne chargée des nouvelles technologies, Viviane Reding.

Elle a espéré qu'un accord puisse intervenir dans les prochaines semaines, car retarder la mise en place de toute la réforme serait «une vraie perte» pour l'économie européenne.

«Le conseil doit plier. Il doit céder. Il y a de gros intérêts financiers en jeu. Il a besoin du paquet. Sinon il faudra tout reprendre et attendre trois ans», a commenté Daniel Cohn-Bendit.

Mais il est probable que les Etats membres campent sur leurs positions. D'après une source diplomatique, la position du Parlement européen n'est «pas du tout acceptable».

Elle soulève «des problèmes légaux et constitutionnels très sérieux», relève une autre source diplomatique, il y a «une claire minorité de blocage» qui ne comprend «pas seulement la France». Et de déplorer que toute la réforme soit «devenue otage de la campagne pré-électorale».

Les élections européennes de juin vont encore compliquer la donne. C'est le nouveau Parlement qui s'attellera aux négociations de la dernière chance. Et il pourrait tout reprendre à zéro.