Les producteurs multimédia continueront à exiger un financement autonome pour leurs productions destinées à circuler exclusivement sur la Toile. Ils déplorent en ce sens l'orientation du nouveau Fonds des médias du Canada, un fonds qui favorise selon eux les télédiffuseurs traditionnels en obligeant les producteurs multimédia à y être associés.

Le 9 mars dernier, le ministre du Patrimoine Canadien, James Moore, a annoncé la fusion du Fonds canadien de télévision et du Fonds des nouveaux médias du Canada. On s'en doute bien, la nouvelle fut applaudie par une partie des diffuseurs traditionnels, dont Quebecor Media et CTV. Du côté de la webproduction, l'esprit était plutôt à la... webdéception. C'était palpable, jeudi dernier à l'événement Montréal Web Vidéo 2009, où la plupart des producteurs multimédia d'ici étaient présents.

 

«Être associé obligatoirement à un diffuseur traditionnel devient limitatif. Ça force les petits producteurs à se coller au modèle traditionnel télévisuel, ce qui va à l'encontre de la philosophie web, de la création audiovisuelle sur l'internet. À mon sens, cette règle risque de brimer la liberté d'expression acquise par les producteurs multimédia, car le diffuseur traditionnel conserve un droit de regard sur la scénarisation, sur la conception d'ensemble d'une production» estime Jean-Martin Desmarais, producteur de www.chezjules.tv, un téléroman en ligne qui connaît actuellement un succès croissant.

Le succès est donc possible sur le web. Les célébrissimes Têtes à claques en sont le meilleur exemple québécois. Mais l'immense popularité des personnages créés par la maison Salambo Productions n'est pas chose courante, loin de là.

«Les Têtes à claques, c'est un cas d'exception. Le modèle d'affaires n'est pas en place, le succès populaire en ligne n'est pas proportionnel au succès économique. Quelques rares niches arrivent à se rentabiliser, mais ce n'est pas la norme aujourd'hui», tranche Normand Bélisle, président d'Inpix, agence de marketing spécialisée dans les contenus numériques.

«La production de vidéo en ligne doit être soutenue financièrement, au même titre que la production télévisuelle. Actuellement, 70% des coûts de la production télévisuelle traditionnelle sont financés autrement que par la publicité; crédits d'impôt, Fonds canadien de la télévision, SODEC, etc. En 2008, pourtant, les télédiffuseurs canadiens ont généré 3,5 milliards en revenus publicitaires, 2 milliards en revenus en télédistribution, pour un total de 5,5 milliards. Leurs revenus publicitaires sur l'internet? 55 millions, c'est-à-dire 1%», fait observer le président d'Inpix, de manière à souligner l'urgence d'un soutien gouvernemental à la webproduction qui doit prendre son envol pendant que se précise son modèle d'affaires.

Catalina Briceno, qui représente Salambo Productions au conseil d'administration du Regroupement des producteurs multimédia (RPM), espère que cette association imposée avec les diffuseurs traditionnels ne perdurera pas.

«Sinon, les webproducteurs canadiens et québécois accuseront un retard tellement important qu'ils ne pourront tenir le coup! Déjà aujourd'hui, le Canada accuse un retard énorme dans la production de contenus originaux sur l'internet. En ce moment, rien ne favorise l'expansion de cette production. En attendant que les règles du nouveau Fonds (encore floues) soient précisées au-delà de l'intention annoncée par le ministre Moore, on travaille très fort pour que la webvidéo soit reconnu comme médium à part entière. Pour qu'on cesse de nous mettre à la remorque de la télévision.»

Catalina Briceno et ses collègues producteurs reconnaissent néanmoins qu'ils ne pèsent pas encore lourd dans la balance de la production médiatique.

«Nous sommes confrontés à de très forts lobbys, estime Jean-Martin Desmarais. Mais on commence à s'organiser. Il y a l'Alliance numérique et le Regroupement des producteurs multimédia. On espère que ces associations nous donneront les outils de lobbying nécessaires. Il ne faut pas se le cacher, on se bat contre des institutions qui existent depuis plusieurs décennies. Elles sont largement financées par des fonds publics, elles tiennent à conserver cet argent.»

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