Priver d'accès à internet les Français qui s'obstinent à télécharger illégalement musique et films... Un tel projet de loi commençait à être examiné par l'Assemblée nationale, provoquant mardi la colère de ses détracteurs qui le jugent dangereux et dépassé.

«Le pillage par internet est un fléau qui fait mourir la création française», a déclaré le président du groupe UMP (droite, au pouvoir) à l'Assemblée, Jean-François Copé, posant ainsi les enjeux d'une telle loi.Car le phénomène est très répandu en France où une moyenne de 450.000 films sont piratés quotidiennement et où plus d'une personne sur trois reconnaît s'adonner à cette pratique, d'après un récent sondage.

Fruit d'un accord entre professionnels de la Culture et de l'internet signé en novembre 2007 sous l'égide de l'Elysée, le projet de loi «Création et internet» vise à dissuader les internautes en leur envoyant des avertissements.

En cas de récidive, leur abonnement à internet sera suspendu par une haute autorité administrative, Hadopi, créée à cet usage.

Selon la ministre de la Culture, Christine Albanel, quelque 10.000 messages d'avertissements pourraient être envoyés par jour si la loi, déjà adoptée par le Sénat (chambre haute), est votée. L'examen du texte commencera mercredi.

Mi-2008, 52 artistes majeurs de la chanson française avaient signé une pétition de soutien à cette loi pour «sensibiliser et avertir les internautes qu'on ne peut pas impunément piller (leurs) oeuvres».

«Nous sommes inquiets, très inquiets», avaient alors lancé Johnny Hallyday, Alain Bashung, Charles Aznavour, Etienne Daho, Keren Ann ou encore Renaud et Alain Souchon.

En cinq ans, les droits d'auteurs ont globalement chuté de 53 millions d'euros, selon le président du directoire de la Sacem (société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique), Bernard Millet.

Jusqu'à présent, tout «pirate» pouvait être condamné à une amende allant jusqu'à 300.000 euros et à cinq ans de prison.

Si les défenseurs de la loi mettent en avant l'aspect «préventif» et «pédagogique» du nouveau texte, ses détracteurs estiment qu'il met en danger les «libertés individuelles» et qu'il n'est pas adapté aux nouvelles réalités technologiques.

Cette méthode a été adoptée aux Etats-Unis, en Irlande et en Italie, mais des pays européens comme l'Allemagne ou la Grande-Bretagne y ont renoncé.

«Le dispositif qui va être examiné créerait un précédent sur la voie d'une surveillance massive des réseaux et donc de la société», a estimé le député socialiste, Christian Paul.

L'association de consommateurs UFC-Que Choisir le trouve «répressif et stigmatisant» et s'inquiète du fait qu'on puisse suspendre la connexion d'un internaute «simplement suspecté», d'autant que la traçabilité n'est pas totalement fiable.

«Alors qu'internet devient de plus en plus une solution du quotidien pour les Français pour faire face aux effets de la crise, il est préférable de ne pas pénaliser tout un foyer», avance, pour sa part, l'Association de l'économie numérique.

De manière générale, tous s'accordent à penser qu'il faut «inventer un nouveau modèle», qui pourrait prendre la forme d'une «licence globale», système d'abonnement qui donnerait un droit d'accès à la culture.

«Aujourd'hui, on veut essayer d'éradiquer un usage devenu massif au lieu d'essayer d'inventer un nouveau modèle qui pourrait profiter de cet élan», estimait mardi le principal quotidien de gauche, Libération.