Dans combien d'années verra-t-on un juge lire un jugement en direct sur Internet? Les relations entre les juges et les médias étaient au coeur des discussions hier à l'occasion d'une réunion de l'Association canadienne des juges des cours supérieures

«Les tribunaux ont raté le virage de la télé», a lancé André Pratte. L'éditorialiste en chef de La Presse, l'un des conférenciers invités, y est allé de sa suggestion de lecture d'un jugement devant les caméras. Une excellente façon, dit-il, d'humaniser la justice, de montrer qu'«un juge est un être humain qui peut parler».

Ce n'est pas demain la veille, si on se fie aux propos des juges. «À l'université, on apprend le droit, pas la communication», de dire le juge Michel Robert. Le juge en chef du Québec a longuement élaboré sur le manque de ressources financières. Les tribunaux n'ont donc pas les moyens de s'offrir des spécialistes en communication, dit-il.

Le juge Robert ajoute que la Cour d'appel, le plus haut tribunal au Québec, dispose d'un budget qui lui permet l'embauche d'un technicien pour son site Web à temps partiel seulement. Grâce à Internet, les décisions des tribunaux sont plus diffusées qu'auparavant, ont fait valoir les représentants des différentes cours.

Mais pour l'éditorialiste Pratte, les tribunaux doivent aller plus loin, et les juges devraient cesser de craindre les nouveaux moyens de communication, mais devraient plutôt y voir des opportunités. Une image, répétée chaque fois que se déroule un procès médiatisé, trouble le journaliste.

Celle de voir les portes se refermer une fois le public entré dans la salle. Une fermeture qui a quelque chose de paradoxal dans le monde d'aujourd'hui, de dire M. Pratte.

Dans un document déposé au début de la réunion, le juge en chef de la Cour du Québec, Guy Gagnon, souligne que les relations entre les médias et les juges sont depuis longtemps tendues et mutuellement empreintes de suspicion. Le texte du juge Gagnon illustre les craintes des tribunaux face à une «information devenue un divertissement et un bien à consommation rapide». Les craintes exprimées par le juge Gagnon visent surtout les chaînes de télévision en continu et les sites Internet des médias.

boulimie de l'information

Le journaliste doit rapidement produire un reportage concernant un jugement qu'il n'aura, dans certaines circonstances, même pas eu le temps d'analyser complètement, d'écrire le juge Gagnon. Les médias doivent sustenter une société qui souffre de boulimie de l'information, constate le juge en chef de la Cour du Québec.

Le lecteur ou l'auditeur ne prend plus le temps de lire l'ensemble de l'information, se contente dans bien des cas d'un survol rapide de celle-ci, et tire ses propres conclusions, analyse le juge Gagnon. «Nous évoluons alors vers le dangereux monde de la perception.»

Tout n'est pas négatif. Le magistrat admet que la médiatisation des décisions judiciaires exerce une pression positive et efficace de la responsabilisation des juges. Oui aux commentaires et aux critiques fondés sur une bonne connaissance des faits et des circonstances, conclut le juge Gagnon.