Pressée par Bruxelles de se plier aux règles de la concurrence, l'Allemagne a ouvert la voie jeudi à une limitation des activités des groupes audiovisuels publics sur Internet.

Les chefs de gouvernement des 16 Länder (Etats régionaux), compétents pour les affaires culturelles, ont mis au point un projet de contrat qui oblige ARD, ZDF, Deutschlandradio et leurs satellites régionaux à proposer sur internet des contenus strictement «liés» aux émissions diffusées.

En outre, il n'y aura pas de «presse électronique» sur les sites Internet de médias publics, a indiqué à l'issue de la réunion à Berlin le chef de la conférence régionale des Länder, Roland Koch, qui dirige la Hesse (centre-ouest). Ce qui devrait exclure des «rédactions-online» spécifiques.

Ce projet, qui doit être soumis à Bruxelles avant d'être adopté puis entériné par les 16 parlements régionaux, marque une victoire pour les médias privés.

 Depuis des semaines, ils dénonçaient une concurrence déloyale, les groupes publics bénéficiant de la manne des redevances, à la différence des groupes privés dont certains jouent sur internet leur survie financière. 

Le quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung fustigeait jeudi ces «géants publics» qui «prennent l'espace de la presse libre» et se posent en seuls garants d'un «journalisme de qualité».

 Dans leur bataille, ils avaient reçu le soutien de deux commissaires européennes, Nelly Kroes (Concurrence) et Viviane Reding (Société de l'information).

«Nous allons regarder à la loupe» le nouveau contrat et «j'espère vraiment que nous n'allons pas devoir entamer un nouvel épisode de bataille juridique», avait mis en garde Mme Reding mercredi dans une interview.

 Un catalogue doit encore détailler ce qui sera autorisé ou interdit sur les sites d'ARD, ZDF et consorts. Mais il est déjà clair, a expliqué Roland Koch, que «tout ce qui touche au domaine commercial» sera prohibé.

Sont visés notamment les boutiques de vente en ligne (CD, livres, peluches, billetteries...), les annonces pour des rencontres et autres «tuyaux» pour des vacances renvoyant à des sites de réservation de séjour.

Autre axe important: les émissions de sport ne pourront être mises en ligne que 24 heures après leur diffusion et seulement pendant 7 jours. Mais pour les émissions de divertissement, l'affaire n'a pas encore été tranchée.

 Selon Roland Koch, le nouveau contrat permettra tout à fait aux médias publics de remplir leurs obligations en matière d'information et d'éducation.

 Nombre de journalistes, la Fédération des associations de consommateurs (vzbv) ou encore a confédération des syndicats (DGB) et certaines Églises avaient exprimé leurs craintes de voir cette mission publique bradée en raison des intérêts commerciaux des médias privés.

 Et parce qu'il en va d'internet, considéré comme le média de l'avenir, la bataille avait pris ces dernières semaines une intensité jamais vue depuis le lancement de l'audiovisuel privé au début des années 1980, relevaient des journaux.

 Les contribuables allemands paient 7,3 milliards d'euros par an en redevances pour les médias publics. Une faible partie de ces fonds est utilisée pour les portails Internet de ZDF, ARD et leurs déclinaisons régionales WDR, SWR, NDR, etc, ce que les médias privés qualifient d'atteinte à la concurrence.

Le nouveau contrat ne détermine pas combien chaque chaîne pourra consacrer à son portail internet, chacune décidera pour elle-même, a indiqué M. Koch.

C'est là une concession aux groupes publics: ils pourront investir sur internet, reste à trouver sous quelle forme. L'enjeu est important quand on sait, par exemple, que 90% des 14-29 ans en Allemagne s'informent "régulièrement" sur Internet.