C'est un endroit où il n'y a ni grille horaire, ni producteur, ni diffuseur, ni aide gouvernementale ou règlements. Bienvenue au Far Web, où comme dans l'Ouest jadis, Internet est un terrain de libertés et d'opportunités.

Derrière l'ordinateur, des jeunes maîtres de la vidéo et du montage investissent leur temps et leur argent pour créer le prochain succès à la Têtes à claques. Au Québec, il existe une quarantaine d'émissions produites exclusivement sur Internet, estime le «patrouilleur du Net» Dominic Arpin, auteur d'un Web TV Hebdo à venir. Pour ces créateurs, «le web est devenu une espèce d'outil, un passage obligé vers la télé, le cinéma», explique-t-il.Rudy Jahchan et sa partenaire Casey McKinnon sont parmi les premiers explorateurs de la web télé au Québec. Ils produisent les séries Kitkast et A Comicbook Orange et surtout Galacticast, leur émission la plus populaire, dans laquelle ils parodient les histoires de superhéros, films de science-fiction et autres fantaisies fantastiques depuis leur appartement montréalais. À raison d'un épisode par semaine en 2006 et 2007, Rudy et Casey se sont assurés une audience de 250 000 personnes par mois, ainsi qu'une renommée certaine parmi les internautes. «En ce moment, c'est le Wild West, affirme Rudy Jahchan. Tout le monde se demande comment faire de l'argent.»

Yan Thériault, un technicien de TQS bientôt au chômage, espère lui aussi faire sa place sur le web. Il consacre 35 à 40 heures par semaine avec son projet, Les Crapules, un cartoon construit à partir d'insolences téléphoniques. Il a d'abord présenté son concept aux télévisions traditionnelles. «Beaucoup de chaînes étaient intéressées, mais elles voulaient avoir des gros noms, comme Lise Dion ou Stéphane Rousseau», raconte-t-il. Il a finalement réalisé ses capsules avec les frères Marc et Jean-Claude Gélinas. Depuis leur mise en ligne au début de l'année, Les Crapules attirent 50 000 visiteurs par mois.

Joe Baron et Seth Mendelson, les deux Montréalais derrière l'excellente série web Take me Back, rêvent, eux, de grand écran. La série, lancée en avril et déclinée en dix épisodes, a été comparée à la populaire télésérie américaine Heroes. Pour le mystère seulement, croit Joe Baron, qui n'éprouve aucun penchant pour le petit écran. «Nous avons essayé de proposer autre chose plutôt que de la télé, dit-il. Je ne regarde pas beaucoup la télé, je n'aime pas les émissions, à l'exception, peut-être, d'Arrested Development. Tout ce que l'on peut trouver en ligne est de l'humour, des choses drôles, parfois immatures. C'est bien, mais on voulait faire autre chose.»

Salué par Dominic Arpin ou des sites de référence comme The Varsity et New Teevee, Take me Back a recueilli un succès d'estime, valant aux deux jeunes créateurs de bonnes prises de contact avec des producteurs de Toronto. Toutefois, Joe Baron regrette que «l'émission n'attire pas autant que ce que l'on avait espéré. On a environ 12 000 visiteurs (...) On pensait faire de l'argent, de la pub, mais cela n'a pas rencontré nos attentes initiales.»

Un gagne-pain ou un grille-pain?

Qu'attendre du Far Web, donc?

De l'avis général, pas beaucoup d'argent. L'un des membres des Recycleurs, un site humoristique remettant au goût du jour des publicités des années 60, relève avec humour que leur site n'est pas «un gagne-pain, c'est un grille-pain. Il faut payer le site, l'équipement, le disque dur, le transport. On est dans le rouge absolu!»

Plusieurs apprécient la liberté qu'offre le médium. Geneviève Lefebvre, la scénariste et blogueuse derrière les Chroniques blondes, écrit pour Internet sa nouvelle série, Chez Jules, dont la mise en ligne est imminente. À la télé, Chez Jules «aurait pris trois ans avant de se faire, croit-elle. En plus, on m'aurait imposé des acteurs, dit de retravailler le texte. On m'aurait fait enlever ce que j'aime le plus, jusqu'à ce que je ne l'aime plus!»

D'autres cherchent une carte de visite. Catherine Beauchamp, qui présente, seule et avec ses fonds personnels, Le tapis rose de Catherine admet: «C'est une porte d'entrée pour la télé, mais malheureusement, le problème c'est que le modèle n'est pas encore fait. Ça va être très rare, ceux qui vont aller en télé.»

Parmi les rares projets qui ont une vie à l'extérieur du web, il y a Bob le chef, de Robert James Penny et Alexis Brault, qui a trouvé sa vers l'édition (avec les Éditions La Presse) et peut-être vers la télé (avec les Productions La Presse). Le cas Roberge (voir la capsule), lui, a été récupéré par une productrice de cinéma. Le film sortira en salles le 15 août. Mais rares sont les projets qui percent sur d'autres écrans que ceux des ordinateurs. Et pour cause.

«Peu de gens du milieu de la télévision connaissent bien ce qui se fait sur le web, déplore Benoît Roberge, l'homme derrière Le cas Roberge. Quand je vais en voir, ils ne connaissent pas Human Giant (ndlr: un succès Internet américain, diffusé sur MTV. Ils vivent vraiment dans leurs tours.»

Du côté des diffuseurs, TVÀ et Radio-Canada affichent un intérêt poli, certes, mais de forme pour Internet. TVÀ a diffusé l'hiver dernier Vlog, une revue des meilleures vidéos sur Internet animée par Dominic Arpin et Geneviève Borne. L'émission a toutefois été retirée des ondes. Chez Radio-Canada, diffuseur des Têtes à Claques, on est «alertes à tout ce qui se fait ailleurs, mais principalement, les projets qui nous sont présentés le sont par les producteurs», dit la porte-parole de la télévision de Radio-Canada, Guylaine O'Farrell.

En avance de quelques années pour les nouvelles technologies, les télédiffuseurs américains ont commencé, eux, à recruter sur Internet leurs nouveaux poulains. Le dernier snobisme, à Los Angeles? Se présenter comme quelqu'un «qui écrit pour Internet», rapportent les auteurs de Galacticast.

«Les gens cherchent une façon de faire de la pub pour Hollywood, constate Rudy Jahchan. Quand je vois Sanctuary Show (ndlr: une émission canadienne crée sur Internet et diffusée aux États-Unis), moi, je vois une émission qui attendait d'être repérée à la télé. Galacticast, on l'a fait, non pas parce qu'on voulait faire quelque chose, mais parce qu'on aime ça.»

Aujourd'hui, Rudy Jahchan et Casey McKinnon font la navette entre Montréal et Hollywood, où ils rencontrent des producteurs, à l'affût, disent-ils, des tendances du moment. Conseillés par un avocat, les Montréalais ne cèdent toutefois pas aux (nombreuses) promesses de célébrité instantanée et préfèrent la négociation à la cession de leurs droits.

«Beaucoup de gens ignorent leurs droits. On peut vous proposer entre 500$ et 25 000$ pour une vidéo! Il y a un an, quand on arrivait avec notre avocat, tout le monde nous disait: mais enfin, pour qui vous prenez-vous? Aujourd'hui, le regard a changé», croit Rudy Jahchan. Wild Wild, le web? Peut-être, mais plus pour longtemps.

TAKE ME BACK

De: Joseph Baron et Seth Mendelson

https://www.tmbtheseries.com/

Construite en 10 épisodes, la série raconte, non sans ménager un certain suspense, l'enlèvement soudain d'Al, un jeune Montréalais apparemment sans histoires. Qui est l'homme derrière le masque, autour de l'enlèvement? À qui profite l'enlèvement? Al parviendra-t-il à communiquer avec Neil et Emma, ses amis? Tournée l'été dernier, diffusée sur le web à partir du mois d'avril, pour 10 semaines, Take me back est sans conteste la série web la plus excitante du moment. Ses deux jeunes auteurs admettent que la série leur a permis d'être repérés par des producteurs, à défaut de créer un buzz immédiat parmi les internautes.

INSPECTOR BRONCO

De: Renaud Gautier

https://www.inspectorbronco.com/

«Enfant métisse d'une alliance indienne et britannique», l'inspecteur Ramanath Bronco est mené, au gré de ses enquêtes, à flirter de très près avec le monde interlope américain, mexicain, italien ou indien. Complètement loufoque, cette série imaginée, réalisée et interprétée par Renaud Gautier, produite par Visant Le Guennec, se déploie aux quatre coins du monde, grâce aux voyages deGautier. L'esthétique kitsch des épisodes d'Inspector Bronco doit beaucoup aux films de genre des années 70 et au cachet de sa «post-synchro chancelante «. Nouvelle sur le web, la série avait d'abord donné naissance à des courts métrages. Bronco n'en reste pas là et on nous promet au moins une soirée live pour l'été.

LE CAS ROBERGE

De: Jean-Michel Dufaux, Raphaël Malo et Benoît Roberge

www3.globetrotter.net/lecasroberge

Benoît Roberge est un homme «en quête». À Montréal, sur le Plateau, avec ses amis Sébastien et Jean-Michel, Benoît se questionne sur les femmes, le couple, la réussite ou encore les élites médiatiques. Lancé à l'été 2007, Le cas Roberge était destiné d'abord à la télé. Après avoir fait le tour des diffuseurs, Jean-Michel Dufaux, Benoît Roberge et Raphaël Malo ont finalement décidé de porter leurs idées sur le web. Finalement, le succès des capsules (dont le nombre de visionnements varie entre 10 000 et 20 000) ont ressuscité le projet de film, produit par Nicole Robert (GO Films). Le filmprendra l'affiche cet été, et on peut déjà découvrir la bande-annonce sur le site.

BOB LE CHEF

De : Robert James Penny et Alexis Brault

www.33mag.com/webtv

Avec humour et décontraction, Bob le chef présente des shows culinaires d'une simplicitédéconcertante. Présenté sur le site web 33 mag (www.33mag.com), les capsules de Bob le chef («l'anarchie culinaire», comme il l'appelle) attirent chaque mois près de 70 000 visiteurs. Diplômé de l'ITHQ, Robert James, dit «Bob», et son partenaire, Alexis Brault, ont commencé leur émission il y a plus de trois ans. Aujourd'hui, Bob le chef se décline en livre (aux éditions La Presse) et bientôt en émission de télévision (avec la maison de production La Presse télé).

LES RECYCLEURS

De: Simon et Louis Sédillot, avec la participation de Vincent Potel, Martin Héroux et Mark Hilard

www.lesrecycleurs.com/

Doublage et vieilles vidéos inspirent l'équipe des recycleurs, formée autour de deux frères, Simon et Louis Sédillot. Les frangins s'abreuvent en vieilles publicités ou séries oubliées des années 60, pour en proposer des versions «recyclées». L'humour est plus souvent potache que corrosif, bien que Les recycleurs n'hésitent pas à ressortir du placard des trésors de naïveté publicitaire des années 60. Lancé à la fin de l'année 2006, le site des Recycleurs attire un noyau de 5000 fidèles chaque mois.

QUELQUES SITES QUÉBÉCOIS À VISITER

Bang Bang TV: https://www.bangbangtemort.com/

33 Mag: https://www.33mag.com/

Alerte rouge: www.alerterouge.tv/

Bombe TV: https://www.bombe.tv/

Canoë: https://www.canoe.tv/

Les Germaine: https://www.lesgermaines.tv/

Les bidules: https://www.lesbidules.tv/

Prenez garde aux chiens: https://www.prenezgardeauxchiens.com/

Le tapis rose de Catherine: https://www.letapisrosedecatherine.com/

Le blogue de Dominic Arpin : https://www.dominicarpin.ca/