Les deux Castors de Bell, déjà sonnés par plusieurs mauvaises nouvelles, ont reçu jeudi hier après-midi un autre coup dans les dents.

Bell vend ses services d'accès internet rapide sous de fausses représentations et elle cache à ses abonnés des faits importants concernant les limitations de vitesse de transfert de données «qu'elle impose délibérément, sciemment, unilatéralement et systématiquement» à ses clients, allègue une demande d'autorisation en recours collectif déposée hier en Cour supérieure.

Mais l'allégation la plus sévère contre Bell est qu'elle «porte atteinte au droit à la vie privée de ses clients internet» grâce à une technologie pouvant scruter le contenu de certains courriels des internautes.

Selon la poursuite, cette intrusion dans la vie privée des clients de Bell se produit par l'utilisation d'une technologie appelée DPI (Deep packet inspection). Cet outil de gestion du trafic internet a été mis en service «à l'insu des abonnés» le 28 octobre 2007, selon l'Union des consommateurs, qui cite une lettre de Bell au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC).

Le DPI sert à ralentir le transfert de certains gros fichiers qui sont fragmentés par «paquets» quand ils sont envoyés ou reçus par les internautes abonnés aux services internet.

Bell et d'autres grands fournisseurs internet disent employer la DPI, en gros, pour empêcher que certains types de trafic internet au contenu très lourd n'engorgent le système durant les heures de pointe. Autrement, ces gros fichiers -qui prennent beaucoup de bande passante- bloqueraient tout le monde.

Pour ce faire, la DPI examine «l'entête» des courriels et, durant les heures de grande utilisation, met sur une voie de service ceux qui ont des contenus très lourds. Ils sont remis en route durant les heures plus tranquilles.

Mais les critiques de cette technologie affirment qu'elle permet aussi d'examiner le contenu des courriels, pas seulement l'entête.

La poursuite allègue que la technologie DPI permet à Bell de «prendre connaissance, sans le consentement (des abonnés), de toutes les activités et du contenu de tous les messages envoyés par les utilisateurs» et demande des dommages punitifs à Bell.

Mais le recours collectif soumis hier en cour décrit surtout la DPI comme un instrument pas assez discriminant qui ralentit de nombreux fichiers dont les gens ont besoin et sans quoi l' «internet rapide» est une fausse représentation.

Selon la poursuite, la DPI empêche Bell d'honorer les engagements de rapidité qu'elle prend dans ses contrats et dans sa publicité. On cite notamment les réclames de Bell qui vantent: «Un choix de vitesses constantes et ultra-rapides» et «Accès toujours rapide, jamais partagé. Sans ralentissements frustrants, même en période de pointe».

Selon la poursuite, l'impact se ressent sur le réseau de Bell tous les jours entre 16h30 et 2h.

La poursuite n'en parle pas, mais rappelons que Commissaire à la vie privée du Canada a ouvert le 13 mai une enquête sur l'usage de la technologie DPI par les fournisseurs de services internet. Un centre d'études sur l'internet de la faculté de droit de l'Université d'Ottawa a convaincu le Commissaire à la vie privée d'examiner et de baliser l'usage de cette technologie controversée.

Devant le CRTC, Bell et d'autres fournisseurs internet ont affirmé n'avoir aucun intérêt pour le contenu des fichiers que peuvent bien s'échanger leurs clients. Ils ne fouinent pas dans les courriels, disent-ils, et la technologie DPI ne leur sert qu'à gérer le trafic et à tasser du chemin, momentanément, les fichiers ultralourds.

La poursuite contre Bell est intentée par l'Union des consommateurs et Myrna Raphaël, une cliente insatisfaite du service internet offert par la firme de télécommunications de Montréal.

La requête (pilotée par le cabinet Unterberg, Labelle, Lebeau) demande à la cour d'autoriser un recours collectif au nom de tous les résidants du Québec qui avait à partir du 28 octobre 2007 un contrat de service internet résidentiel avec Bell.

L'autorisation demandée à la Cour par l'Union des consommateurs spécifie que la poursuite exigerait des dommages de 2000$ pour chaque client québécois souscrivant aux services internet Bell.

Bell ne révèle pas combien d'abonnés elle a dans chaque province mais revendique deux millions de clients internet à la grandeur du pays, a dit hier le porte-parole, Jacques Bouchard. Au sujet des allégations rédigées dans la poursuite, Bell n'a pas de commentaire, a dit M. Bouchard: «On va prendre connaissance de la poursuite.»