Geneviève et Nicolas sont les experts du grand écart. Il habite Los Angeles, elle vient de déménager à San Francisco. Il travaille pour MySpace, elle bosse pour Apple. Ils veulent habiter ensemble, mais Silicon Valley leur impose son sport officiel: travailler, travailler, travailler...

L'appartement de deux pièces de Geneviève et Nicolas est situé en plein coeur de San Francisco. Il est ensoleillé, et offre une vue imprenable du Bay Bridge. Les meilleurs restos de la ville sont à 10 minutes de marche. Le stationnement est impossible. L'appartement coûte 2400$ par mois et les mois reviennent vite, disent-ils.

Geneviève a emménagé dans l'appartement cet hiver pour commencer un nouvel emploi comme designer d'interface chez Apple. Pendant ce temps, Nicolas loge toujours dans leur ancien appart, à Los Angeles. Le couple prévoyait déménager à San Francisco, mais, à la dernière minute, Nicolas a reçu une offre qui ne se refuse pas: un emploi de directeur de produit chez MySpace. Leur relation se vit maintenant à distance. Sept heures de route les séparent. Le prix à payer pour gravir les échelons à Silicon Valley.

«C'est un peu compliqué notre affaire, mais présentement, c'est la seule solution», explique Nicolas.

Chaque fois qu'il monte voir sa blonde à San Francisco, Nicolas sait que le week-end va se terminer abruptement. Le lundi, son réveil sonne à 3h du matin. Nicolas saute dans sa voiture et prend l'autoroute vers L.A. S'il est chanceux, il arrive chez MySpace à temps pour la réunion hebdomadaire, fixée à 11h du matin.

Geneviève est au travail depuis longtemps à cette heure-là. «On est ensemble peut-être une fin de semaine sur deux, dit-elle. C'est sûr que ce n'est pas l'idéal. Mais on essaie de ne pas trop s'en faire. On ne se voit pas ailleurs que là où on est.»

Le saut dans le vide

Nicolas Bertrand et Geneviève Garand se sont rencontrés à l'UQAM en 1999. Dès le début de leur relation, ils parlaient de s'envoler un jour pour Silicon Valley.

Geneviève se souvient que c'est la croissance phénoménale des entreprises de nouvelles technologies qui lui a donné le goût de s'exiler. «On entendait parler des entreprises point-com qui embauchaient des centaines de personnes pour travailler sur des projets mondiaux, dit-elle. Quand t'es à l'UQAM, c'est sûr que ça fait rêver. Mais à l'époque, on sentait qu'on n'avait ni l'argent ni les compétences pour déménager à Silicon Valley.»

Quelques années plus tard, en 2004, Nicolas est chargé de cours à HEC Montréal et s'apprête à entreprendre un doctorat en informatique cognitive quand Geneviève reçoit une offre d'emploi chez Yahoo!, à Los Angeles. Du jour au lendemain, il décide de tout laisser tomber et de suivre sa blonde à 4500 km de Montréal.

«J'ai littéralement mis mon laptop et deux paires de bas dans une valise et je suis parti avec Geneviève, dit-il. C'était un saut dans le vide, mais c'était l'occasion ou jamais d'y aller.»

Cela fait maintenant quatre ans que le couple habite en Californie. Geneviève est passée de designer chez Yahoo! à designer chez Apple. Nicolas est passé de travailleur autonome à directeur chez Ticketmaster, puis de travailleur autonome à directeur chez MySpace. Ils retournent au Québec deux fois par année (rarement l'hiver) mais appellent souvent leurs amis et leur famille. «On garde contact, dit Geneviève. Mais le taux de change est mauvais et, quand on va au Québec, on trouve que tout coûte cher... C'est le monde à l'envers.»

Rendez-vous planétaire

Relire des articles des magazines technos écrits en 1998 ou en 1999, c'est jeter un coup d'oeil à une période d'euphorie à Silicon Valley. À cette époque-là, un jeune geek avec une idée en tête pouvait amasser des dizaines de millions de dollars en capital de risque du jour au lendemain. Les entreprises internet qui faisaient leur entrée en Bourse étaient accueillies comme des vedettes rock un soir de première. Le champagne coulait à flots. La nouvelle économie allait réécrire l'histoire.

Si une histoire a été réécrite, c'est celle de la ruée vers l'or. Huit ans plus tard, le ton est résolument plus modéré à Silicon Valley. «Aujourd'hui, personne ne cherche à créer une compagnie qui va tout changer du jour au lendemain, explique Nicolas. Le défi, maintenant, est de bâtir une entreprise qui va croître et survivre à long terme. C'est plus difficile à faire, mais ça assure des fondations plus solides. Personne ne veut perdre son temps pour un feu de paille.»

S'il est une chose qui ne cesse de surprendre Nicolas et Geneviève, c'est la concentration de talents que l'on trouve dans les entreprises de technologie en Californie.

«Toute la planète est ici, explique Geneviève. Et les gens sont hyper compétents. Ce qui est cool, par contre, c'est qu'il y a vraiment un beat laid back. Les gens sont sympathiques, de bonne humeur. Ils travaillent fort, mais ils ne s'enflent pas la tête.»

Nicolas ne peut s'empêcher de rire. «Chez MySpace, il y a une règle non écrite qui dit qu'on ne doit pas convoquer de réunion avant 11h du matin. Si vous en planifiez une, il y a de bonnes chances que personne ne soit là. Nos patrons nous laissent entrer à l'heure qu'on veut. Ce qui compte, c'est que le travail soit fait.»

Un petit monde

Aujourd'hui au début de la trentaine, Geneviève et Nicolas ne pensent pas faire leur vie en Californie. Ils ne s'imaginent pas en train d'élever des enfants loin de leurs amis et de leur famille. Or, le problème à Silicon Valley, disent-ils, c'est qu'une fois qu'on y a goûté, il est difficile de s'imaginer travailler ailleurs. Tous les gros acteurs sont là. Les ressources sont pratiquement infinies. Et, plus important, les employeurs et les clients savent reconnaître les nouvelles idées et le travail de qualité.

«À Montréal, je devais souvent me battre pour que le design d'un service ou d'un logiciel soit pris au sérieux, explique Geneviève. À la longue, c'est fatigant. Chez Yahoo! ou Apple, les gens comprennent que c'est crucial. Personne ne remet ça en question. C'est au coeur de ce que l'entreprise fait.»

Peuvent-ils un jour penser travailler à distance? La question les fait sourire. C'est que vivre et travailler à Silicon Valley fait aussi tomber un autre mythe de l'ère numérique: celui qui veut que l'endroit où l'on se trouve n'ait plus d'importance.

Une prémisse fausse, note Nicolas, qui a remarqué que les entreprises de Silicon Valley ont tendance à employer des gens... de Silicon Valley.

«C'est un cercle fermé. Les gens ne prennent pas le temps ou l'énergie de regarder ce qui se fait ailleurs. Ils se disent: si c'est bon, ça va être ici, ça va se trouver à Silicon Valley.» C'est un petit monde. Ce n'est pas simple d'y entrer. Et c'est encore moins simple d'en sortir...

DANS LES COULISSES DE SILICON VALLEY

2,49 La population de Silicon Valley, en millions.

4800 La superficie de la région, en km2.

1,3 Le nombre d'emplois, en millions.

73 300 Le salaire moyen d'un employé ($US).

41% Le pourcentage de Blancs dans la région.

28% Le pourcentage d'Asiatiques dans la région.

25% Le pourcentage de latinos dans la région.

3% Le pourcentage de Noirs dans la région.