Encore réservé aux initiés de l'internet, le concept de neutralité des réseaux (net neutrality), selon lequel on désapprouve toute gestion discriminatoire de la bande passante, deviendra tôt ou tard un concept grand public. Qui parlera le plus fort dans ce débat qui s'annonce très chaud? Parions sur le cinéma américain, la plus influente industrie culturelle chez nos voisins du Sud.

Encore réservé aux initiés de l'internet, le concept de neutralité des réseaux (net neutrality), selon lequel on désapprouve toute gestion discriminatoire de la bande passante, deviendra tôt ou tard un concept grand public. Qui parlera le plus fort dans ce débat qui s'annonce très chaud? Parions sur le cinéma américain, la plus influente industrie culturelle chez nos voisins du Sud.

S'adressant aux gestionnaires des salles de cinéma le 11 mars dernier à Las Vegas, le président de la Motion Picture Association of America (la MPAA est le plus puissant lobby culturel aux États-Unis) s'est ouvertement opposé à la neutralité des réseaux internet.

Dans un discours que l'on peut retracer sur le site de son organisation (format PDF), Dan Glickman a clairement laissé entendre qu'il faut absolument policer la Toile si l'on veut créer un solide modèle d'affaires de vente en ligne de productions cinématographiques.

Rappelant qu'Hollywood avait investi, en 2007, sur 17 films au coût de 100 millions, sur sept films de 200 millions et sur quatre productions de 300 millions, Glickman considère très important de protéger le «pipeline» de la distribution et d'en maintenir la robustesse dans le contexte de la circulation exponentielle des fichiers audiovisuels sur l'internet.

«Aujourd'hui, de nouveaux outils nous permettent de travailler avec les fournisseurs d'accès internet afin de prévenir les activités illégales sur la Toile. Or, de nouvelles initiatives émergent à Washington et freinent ce progrès essentiel. Ses défenseurs résument ces initiatives par l'expression "neutralité des réseaux", une expression astucieuse... Mais, au bout du compte, il n'y a rien de neutre à ce titre pour nos clients ou notre capacité à faire de grands films à l'avenir. Une réglementation gouvernementale sur l'internet (permettant cette neutralité) entraverait notre capacité à répondre au consommateur d'une manière novatrice et empêcherait les fournisseurs de large bande de faire face aux problèmes qui sévissent en matière de piratage...»

Réplique des indépendants

Voilà essentiellement le point de vue des six plus grands studios d'Hollywood, qui misent visiblement sur une collaboration serrée avec les fournisseurs d'accès internet, forme de partenariat industriel qui mènerait à la mise en place d'une circulation circonscrite selon des règles de sécurité qui ne dépendraient en rien d'une position citoyenne ou gouvernementale. Et que dire de tous ces créateurs audiovisuels qui ne sont pas admis dans l'empire hollywoodien, c'est-à-dire des milliers de films créés annuellement aux États-Unis et ailleurs dans le monde?

À la mi-mars, le Los Angeles Times faisait état d'une réplique de la télé et du cinéma indépendants sur le même concept de neutralité des réseaux.

Adressée à Dan Glickman, une lettre datée du 14 mars a été signée par Jean Prewitt, présidente de l'Independent Film&Television Alliance (IFTA).

«L'IFTA, écrit-elle, a été sidérée d'apprendre que la MPAA et les six grands studios qui sont ses membres ont entrepris de dénoncer le principe de neutralité des réseaux et ses promoteurs. Notre association est en profond désaccord avec votre position et celle de vos membres.»

Pour Jean Prewitt, en fait, l'internet offre «la seule véritable occasion pour les indépendants de joindre les consommateurs», car la télévision gratuite ou câblée (entre autres), de plus en plus déréglementée, est maintenant devenue la plateforme d'une consommation industrielle massive. À l'inverse, l'internet représente une véritable ouverture pour la production indépendante.

«Cette ouverture est menacée par le pouvoir d'un petit nombre de fournisseurs de bande passante qui discriminerait certaines catégories d'usagers ou types de circulation en accordant un traitement préférentiel à certains fournisseurs de contenus au détriment des autres selon le principe ambigu de la gestion des réseaux (network management).»

D'après l'IFTA et sa présidente, l'enjeu du débat n'est pas tant la mise en place d'une réglementation gouvernementale sur l'internet que la prévention de «la mainmise de grandes entreprises et leur volonté d'imposer leur vision d'une réglementation privée de l'internet au détriment du public».

Est-il besoin d'ajouter que nous ne sommes qu'à l'aube de ce débat opposant les puissants promoteurs de la gestion des réseaux et cette masse croissante de citoyens qui en défendent la neutralité.