Chaque fois c'est la même chose. Peu importe la ville , peu importe l'auditoire, à la fin de chaque conférence l'auteure de Cyberlangue, la Française Aurélia Dejond, a droit à la même question: «Nos enfants sauront-ils encore écrire correctement?» Le plus souvent posée par un parent catastrophé par les fautes de français qui pullulent dans le blogue et les courriels du petit dernier.

Chaque fois c'est la même chose. Peu importe la ville , peu importe l'auditoire, à la fin de chaque conférence l'auteure de Cyberlangue, la Française Aurélia Dejond, a droit à la même question: «Nos enfants sauront-ils encore écrire correctement?» Le plus souvent posée par un parent catastrophé par les fautes de français qui pullulent dans le blogue et les courriels du petit dernier.

Bonne nouvelle, les copies d'élèves ne porteraient pas - encore? - les stigmates de cette révolution de la langue. Aucune étude scientifique ne l'a encore établi clairement. Mais au ministère de l'Éducation du Québec, on ne remarque pas de changements dans les copies des épreuves de français. Les fautes sont les mêmes d'année en année. Des erreurs d'orthographe d'usage, des participes passés malmenés et des phrases mal construites. Mais pas de kelkun (pour quelqu'un) ni de 2main, 2m1 ou dmin pour demain, ni de twa pour toi, dont raffolent pourtant les adolescents au clavier.

Les témoignages d'enseignants rapportés dans la presse francophone étrangère et dans les écoles d'ici concordent. «Je n'ai pas vu apparaître d'abréviations du genre dans les copies de mes élèves», dit Sylvie Turgeon, enseignante de français à la polyvalente Sainte-Thérèse, en banlieue de Montréal. «Si le français se détériore, ce n'est pas lié à l'arrivée des technologies.»

«Les gros problèmes restent les mêmes, constate aussi Martin Bibeau, professeur à l'école Joseph-François-Perreault de Montréal. Les jeunes ne connaissent pas les règles de base. Ils oublient d'accorder le verbe avec son sujet. Ils écrivent de façon inconsciente.»

Dans son rapport diffusé cette semaine, le comité d'experts sur l'apprentissage du français au Québec a d'ailleurs conclu qu'il ne faut pas stigmatiser le français du clavardage comme responsable des lacunes des élèves.

«Il est très facile de faire porter le chapeau de tous les problèmes du français aux technologies de la communication», estime Aurélia Dejond. Cette linguiste a passé deux ans à étudier la cyberlangue, d'abord en 2000, puis en 2005, multipliant chaque fois les entrevues avec les professeurs, parents et spécialistes de la langue, scrutant des milliers de textos, sms et blogues.

«Nos grands-parents se sont fait dire qu'ils écrivaient plus mal que la génération passée. Nos parents aussi. L'explication la plus facile en ce moment est celle-ci.» On a crié au loup avec l'arrivée de l'internet comme on l'avait fait avec la télévision ou le télégramme, observe-t-elle.

Mais la question mérite d'être étudiée de façon plus poussée car le phénomène a dépassé l'effet de mode, dit Anaïs Tatossian, étudiante au doctorat en linguistique à l'Université de Montréal.

Mme Tatossian a passé au peigne fin 4520 messages échangés dans des forums de discussion, la moitié entre des jeunes de 12 à 18 ans, l'autre entre des adultes. Résultat : avec un clavier, peu importe leur âge, les internautes sortent majoritairement des sentiers battus par le crayon sur le papier.

Les adultes sont toutefois les plus réticents à enfreindre les règles du français. Ils utilisent surtout des procédés expressifs (ajouter des bonhommes sourires jaunes, multiplier certaines lettres pour mettre l'accent sur un mot: Je t'ad oooooooooooooooooore, etc.) alors que les adolescents, eux, tronquent et «phonétisent» les mots. Plaisir devient plaizir. Moi devient mwa. Ce qu'on: skon. Le k, délaissé du dictionnaire classique, se paie une douce revanche sur le c.

Cette fracture générationnelle serait d'abord portée par le désir des jeunes de se démarquer de leurs aînés adultes. «En manipulant ainsi les mots les jeunes créent une cohésion de groupe. Ils résistent aux contraintes imposées par le monde des adultes, affirment leur appartenance à un groupe dans leurs communications personnelles «, observe Anaïs Tatossian. Ce langage délimite un territoire auquel seuls les détenteurs des clés de ce code peuvent accéder, mais que les jeunes le délaisseraient au moment de communiquer de façon plus formelle.

Dans ces conditions, «je ne crois pas que le clavardage va affecter la qualité de la langue», dit M me Tatossian. Une réflexion qui trouve aussi un écho dans le rapport du comité d'experts sur la langue.

Chef-d'oeuvre en péril ?

La situation pourrait toutefois changer avec la prochaine génération d'internautes. Ces enfants âgés de 4, 5 ou 6 ans aujourd'hui, qui apprennent à utiliser le crayon et le clavier en même temps. Selon Cédrik Fairon, auteur d'une vaste enquête sur les SMS et professeur à l'Université catholique de Louvain, en Belgique, «l'impact pourrait être beaucoup plus important pour eux parce qu'ils sont mis en contact avec ce langage avant même d'avoir appris les règles d'usage du français».

Comment pourront-ils alors faire la distinction entre le français des médias électroniques et le français classique? «Le risque de confusion existe», reconnaît le chercheur.

Les problèmes de structure des textes donnent bien des maux de tête aux enseignants. «Les jeunes sont capables d'écrire 400 mots sur un sujet, mais leur argumentaire n'a ni queue ni tête. J'ai souvent du mal à les comprendre. Et je ne crois pas que les blogues, dans lesquels, oui, on écrit beaucoup mais sans faire de plan pour organiser sa pensée, vont permettre de corriger ce problème. Au contraire», estime Sylvie Turgeon.

D'autres craignent de voir disparaître le souci d'employer une langue riche. Le ton de l'écrit s'oralise, devient plus familier. Des employeurs se plaignent de ne plus recevoir de lettres de présentation formelles, mais des petits courriels du genre : «Bonjour, votre entreprise m'intéresse, je voudrais bien vous rencontrer. Voici mon CV «, le tout suivi du désormais célèbre bonhomme sourire jaune.

Du direct à l'essentiel et sans formalités. Marielle Saint-Amour, conseillère linguistique de l'Université de Montréal, reçoit des courriels d'étudiants «qui lui écrivent comme si elle était leur meilleure amie. Ce n'est pas la façon de communiquer avec des gens que l'on ne connaît pas !»

Une renaissance du français

Mais Aurélia Dejond pense que l'on peut aussi espérer une renaissance de la langue. Pendant des années, le français a eu un côté très excluant, dit-elle. Les gens qui le maîtrisaient mal hésitaient à s'en servir. Même pour envoyer des voeux à leur mamie. «Or, on n'a jamais autant écrit que maintenant! Le texto, le courriel, le blogue permettent d'écrire dans l'anonymat, et de parler de ce qui est important sans se soucier des préjugés.»

«Cela a permis à toute une frange de la population de se libérer de ses complexes, croit-elle. C'est l'aspect le plus révolutionnaire du développement des technologies. « Et ce goût de communiquer s'accompagne d'un désir de communiquer avec soin, observe-t-elle. Entre ses premières recherches, en 2000, et celles de 2005, elle a constaté un changement radical : la multiplication des forums limitant l'utilisation du cyberlangage. Les fautes sont bien sûr tolérées - on ne peut exiger un français impeccable. Mais si un internaute ne communique qu'en abréviations et symboles : direction la sortie.

Et puis, ajoute Cédrick Fairon, des études menées en Grande-Bretagne suggèrent que les scripteurs des textos les plus efficaces - concis et précis - sont ceux qui maîtrisent le mieux leur langue maternelle. De quoi motiver les adolescents qui paient la facture de leur téléphone à replonger dans leur grammaire.