Dans l'environnement numérique, l'échange équitable est une notion qui ne cesse de gagner du terrain. Bien qu'elle soit encore en train d'être précisée, cette notion soutient d'emblée que tout internaute devrait être en mesure de faire ce que bon lui semble avec les contenus de son choix.

Dans l'environnement numérique, l'échange équitable est une notion qui ne cesse de gagner du terrain. Bien qu'elle soit encore en train d'être précisée, cette notion soutient d'emblée que tout internaute devrait être en mesure de faire ce que bon lui semble avec les contenus de son choix.

Sans contrainte d'interopérabilité, sans contrainte de partage, sans contrainte aucune, et ce, en toute légalité. Cette notion, avez-vous deviné, s'oppose aux mesures contraignantes exigées par les plus puissants ayants droit, mesures qui gagnent aussi du terrain.

Par exemple, il y a fort à parier que le dépôt prochain du projet d'actualisation de la Loi sur le droit d'auteur par le ministre fédéral de l'Industrie (Jim Prentice) comprendra des mesures beaucoup plus contraignantes qu'il s'en trouve dans la loi actuelle. Les récentes rebuffades essuyées par la Commission du droit d'auteur concernant la copie privée (pas question d'imposer une redevance sur le iPod, a tranché la Cour d'appel fédérale) mènent aussi à examiner de près cette notion d'échange équitable.

Les performances fort discutables des nouveaux modèles d'affaires et le déclin encore plus prononcé de l'industrie traditionnelle de la musique (aux dernières nouvelles, suppression de 2000 emplois chez EMI tel qu'annoncé il y a quelques jours, suppression imminente de plusieurs postes au sein de la filiale canadienne de Universal Music) interpellent aussi cette notion d'échange équitable.

Pour un revenu décent

De prime abord, tout observateur attentif de l'univers numérique ne peut s'opposer à cette notion d'échange équitable, fondement même des pratiques de l'Internet... à moins de vivre professionnellement de la fourniture de contenus: création, divertissement, science, éducation. Encore cette année, ces secteurs devront réévaluer la forme de leur vie économique, puisque l'Internet continuera de chambouler la manière dont ils pourront tirer un revenu décent de leur création.

Alors? Posons d'abord ces petites questions aux promoteurs de l'échange équitable, c'est-à-dire les internautes éclairés, regroupements militants et autres associations de consommateurs de l'Internet.

Comment, au fait, assurer la viabilité des contenus si leurs créateurs n'arrivent plus à en vivre? Pourrait-on ne s'en tenir qu'aux contenus amateurs? À ceux de musiciens qui créent le soir après avoir gagné leur vie dans la rénovation et la vente de t-shirts avec l'image de leur groupe en effigie? Aux contenus pédagogiques de professeurs bénévoles? D'écrivains condamnés au BS? De journalistes citoyens qui vous informent dans leurs temps libres? Comment, au fait, un CD ou un fichier de musique sans DRM peut-il voyager partout sur la Toile sans mesure compensatoire?

S'il n'est acheté ou téléchargé légalement qu'une seule fois et qu'il est ensuite partagé et reproduit à des centaines, voire des milliers d'exemplaires, comment ce contenu peut-il assurer un revenu décent à son créateur? Pourquoi ne pas payer une redevance sur un iPod, un montant minimum pour compenser les pertes du trafic P2P? Pourquoi les fabricants et détaillants d'enregistreurs numériques ainsi que les fournisseurs d'accès ou de services Internet peuvent-ils réaliser d'immenses profits sur la base de contenus fournis par des créateurs aux prises avec toujours plus de précarité?

Interpeller les puissants

Posons aussi quelques petites questions aux opposants de l'échange équitable - multinationales de l'enregistrement, groupes de presse, studios d'Hollywood, industrie de la télévision, industrie du logiciel, producteurs, éditeurs, interprètes et, bien sûr, créateurs soutenus par de puissantes structures.

La gestion du trafic des contenus dans les réseaux P2P illégaux par les fournisseurs d'accès pourra-t-elle vraiment restreindre le trafic des contenus? Pourquoi croire encore aux vertus de la répression exercée sur les internautes alors que les lois les plus autoritaires n'ont en rien inversé la tendance à la libre circulation des contenus après 10 ans de tentatives, particulièrement aux États-Unis? Puisque les majors de l'enregistrement sonore abandonnent les DRM, comment pourront-elles faire en sorte que iTunes et les quelques centaines de plateformes de téléchargement légales puissent connaître une croissance proportionnelle au déclin des ventes de CD? Comment croire qu'un contenu acheté légalement ne pourra être reproduit et partagé par ses consommateurs? Comment une loi sur le droit d'auteur plus sévère pourra-t-elle inverser la tendance et ainsi permettre l'émancipation de l'offre légale en ligne?

Poser toutes ces questions, c'est un peu y répondre... Et illustrer que les consommateurs, fabricants, détaillants, fournisseurs d'accès et de services Internet devront, tôt ou tard, s'arrimer avec le vaste milieu de la création. Et que ce dernier devra s'adapter à la réalité virtuelle en admettant la mutation obligée de ses droits. Ainsi, on pourra commencer à parler d'un échange vraiment équitable.