Ryan avait 13 ans quand il s'est suicidé, incapable de supporter davantage les méchancetés propagées à son sujet sur l'internet. Ce n'est qu'après sa mort que ses parents ont réalisé le drame vécu par leur fils.

Ryan avait 13 ans quand il s'est suicidé, incapable de supporter davantage les méchancetés propagées à son sujet sur l'internet. Ce n'est qu'après sa mort que ses parents ont réalisé le drame vécu par leur fils.

De fait, bien des parents ignorent tout du comportement de leur enfant sur la Toile, constate-t-on dans le deuxième volet de notre série sur la cyberintimidation. Une intimidation virtuelle à laquelle des parents n'hésitent pas à recourir pour venger leur enfant.

Pour John Halligan, le 7 octobre 2003 trace l'avant et l'après de sa vie. L'avant et l'après du suicide de son fils.

Pourtant, l'histoire de Ryan Patrick Halligan est celle de bien des petits garçons. Celle d'un être aimant et sensible. D'un enfant qui aimait le vélo, le skate-board et l'internet. Mais s'il était le trésor de ses parents, il était le souffre-douleur de ses camarades de classe.

Jeune, Ryan a connu quelques problèmes de développement. Tout est rentré dans l'ordre, mais il a toujours trimé plus dur que les autres. Pour l'encourager, ses parents avaient l'habitude de lui dire que l'intelligence n'était pas que scolaire. Qu'elle pouvait aussi être musicale, physique et sociale.

Les Halligan parlaient souvent à leurs fils. Ils savaient depuis longtemps que Ryan était intimidé par d'autres élèves. Comme tous bons parents, ils lui proposaient des solutions. Mais ils se disaient aussi que c'était le passage obligé de l'adolescence.

À 13 ans, Ryan n'en pouvait plus de faire rire de lui. Le 7 octobre 2003, c'en était trop. Il a décidé de s'enlever la vie. Mais ce n'est pas une moquerie lancée dans la cour d'école qui l'a poussé à passer à l'acte. Plutôt de fausses rumeurs propagées à son sujet sur l'internet. «Si seulement nous avions su, si seulement il nous avait dit», raconte aujourd'hui son père, John Halligan, joint chez lui, dans l'État du Vermont.

Quelques jours après les obsèques de Ryan, M. Halligan cherchait des indices. Il s'est connecté au compte AOL de son fils. C'est là qu'il a compris ce qui a poussé Ryan à bout. Son fils avait été victime de cyberintimidation. D'abord, des jeunes avaient répandu la fausse rumeur qu'il était gai. Ensuite, la fille qu'il aimait secrètement lui avait fait croire par courriel, au cours de l'été, qu'elle voulait sortir avec lui. Mais toutes ses belles paroles étaient de la foutaise. À la rentrée des classes, au beau milieu de la cour d'école, elle a traité Ryan de «loser» devant tout le monde. «Bien voyons, c'était une blague!» lui a-t-elle lancé, sous les rires méprisants de ses amies.

Quand il a découvert la «double vie» que son fils avait sur l'internet, John Halligan a été consterné de voir toute la méchanceté dont les jeunes sont capables quand ils sont devant leur ordinateur. «C'est affreux. L'internet enlève la retenue qu'une personne a naturellement dans le vrai monde. Quand tu es méchant avec quelqu'un face à face, eh bien, tu as un minimum d'empathie parce que tu vois la réaction de l'autre.»

Paradoxe, John Halligan travaille chez IBM. «J'étais un peu aveugle, estime-t-il, avec du recul. Comme bien d'autres parents, je pensais que Ryan allait sur l'internet essentiellement pour s'amuser.»

Malgré le suicide de son fils, M. Halligan ne conseille pas aux parents d'épier tout ce que leurs enfants font dans le cyberespace. Mais il suggère d'installer l'ordinateur dans un endroit passant. «Les webcams? Est-ce vraiment nécessaire? Les parents doivent se poser la question. Ils peuvent aussi installer des programmes de contrôle parental, signale-t-il. Mais surtout, ils doivent dire à leurs enfants: N'écrivez pas des choses que vous ne voudriez pas que papa et maman lisent.»

M. Halligan a conçu un DVD pour sensibiliser les gens à la cyberintimidation (voir le www.safepassagemedia.com). Depuis le début de sa croisade, il multiplie les apparitions dans les médias et les conférences dans les écoles. Plusieurs jeunes lui écrivent. «Certains regrettent. Ils me disent qu'ils ne réalisaient pas tout le mal qu'ils faisaient.»

Un fossé générationnel

Shaheen Shariff, professeure au département d'études intégrées en sciences de l'éducation de McGill, mène un projet de recherche international sur la cyberintimidation (www.cyberbullying.co.nr). Comme John Halligan, elle ne conseille pas aux parents de scruter à la loupe tous les sites internet que fréquentent leurs enfants. «Il faut responsabiliser les enfants, les amener à développer leur propre code de conduite sur l'internet. Ils doivent discuter de cyberintimidation avec leurs enfants. Ils doivent aussi aviser l'école si leur enfant en est victime.»

«Avant tout, il faut éduquer les jeunes sur la discrimination, la violence, le sexisme, l'homophobie, fait valoir Bernard Desrochers, responsable des services cliniques chez Jeunesse J'écoute Montréal. Il faut aussi leur faire comprendre l'impact que la cyberintimidation peut avoir. L'internet, c'est public, ce n'est pas privé.»

«Le jeune d'aujourd'hui n'est pas celui de ses parents. Quand il veut voir un ami, il ne décroche pas le téléphone. Il se connecte sur l'internet, poursuit M. Desrochers. Les parents doivent superviser comment leurs enfants utilisent l'internet. Sinon, c'est comme abandonner son enfant dans une ruelle.»

L'enseignant albertain Bill Belsey, à qui l'on doit l'introduction du terme cyberbullying, affirme aussi que certains parents sont déconnectés face à la vie sociale que mène leur enfant sur l'internet. «Les adultes ont une relation plus fonctionnelle avec l'ordinateur.»

Selon un sondage Ipsos Reid réalisé l'été dernier pour la société informatique Symantec, 40% des parents d'adolescents âgés de 12 à 17 ans ne surveillent pas le contenu des sites fréquentés par leurs enfants. Un parent sur quatre n'a aucune idée de ce qu'est YouTube, alors que quatre parents sur 10 ne connaissent pas Facebook.

Il peut arriver qu'un enfant cyberintimidé alerte son père ou sa mère, mais que la situation ne soit pas prise suffisamment au sérieux. D'un autre côté, il se peut que l'enfant garde tout pour lui. «Certains jeunes blessés sur l'internet ne veulent pas le rapporter aux adultes, souligne Bill Belsey. Ils ont peur que leurs parents réagissent en leur enlevant leur ordinateur et leur téléphone. Pour eux, l'internet et les cellulaires sont nécessaires à leur vie sociale. Ils ne veulent pas être out, ils veulent être in.»

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