Jeudi dernier, la Commission du droit d'auteur a mis ses culottes en se prononçant sur une redevance pour la consommation légale des oeuvres musicales sur l'internet. Dans le jargon juridique, on parle du «droit de communication au public par voie de télécommunication». Voilà donc un autre pas de franchi pour les créateurs de musique. Mais... que vaut vraiment cette décision au plan pécuniaire? Voyons voir.

Jeudi dernier, la Commission du droit d'auteur a mis ses culottes en se prononçant sur une redevance pour la consommation légale des oeuvres musicales sur l'internet. Dans le jargon juridique, on parle du «droit de communication au public par voie de télécommunication». Voilà donc un autre pas de franchi pour les créateurs de musique. Mais... que vaut vraiment cette décision au plan pécuniaire? Voyons voir.

Pour chaque chanson téléchargée sur un site légal et payant, le fournisseur de contenu devra débourser aux créateurs de musique 3,1 % du montant payé par le consommateur. Ce pourcentage est valable pour la décennie 1996-2006; à compter de 2008, la portion destinée aux créateurs grimpera à 3,4 %.

Pour un téléchargement limité, c'est-à-dire celui que vous permet l'accès illimité à un vaste répertoire moyennant un abonnement mensuel (le téléchargement devient caduc si vous ne renouvelez pas votre abonnement), la plateforme payante devra remettre 5,7 % du prix de l'abonnement payé par le consommateur.

Pour une transmission sur demande, c'est-à-dire l'écoute en transit d'une pièce musicale qui fait partie d'un vaste répertoire auquel on a accès moyennant un abonnement mensuel - le streaming exclut le téléchargement -, on devra remettre 6,8 % aux ayants droit.

La décision sur ce tarif qu'on nomme 22-a sera bientôt suivie d'une seconde décision concernant d'autres applications de la musique numérisée - on la nommera tarif 22-b. Rappelons que ce tarif 22 est exigé par la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SOCAN) depuis 1996, et ce, dans une forme qui a évolué depuis sa formulation originelle.

Précisons également que ce nouveau tarif visant à honorer le droit de communication au public par télécommunication s'ajoute à celui du droit de reproduction sur l'internet consenti l'an dernier par la Commission du droit d'auteur : 8,8% à compter de 2008. Ce qui donne un total de 12,2 % du prix d'une pièce de musique si on additionne les deux pourcentages (8,8 % +3,4 %).

«De manière générale nous sommes satisfaits de la décision. Nous avons obtenu moins que ce nous avions demandé, mais, si nous nous comparons aux autres marchés, nous avons atteint un pourcentage équivalent ou meilleur», croit France Lafleur, directrice générale de la SOCAN pour sa division Québec/Provinces de l'Atlantique.

Daniel Lafrance, président de l'Association des professionnels de l'édition musicale (APEM), se montre aussi satisfait mais ne cache pas son scepticisme quant aux effets réels de ce tarif 22-a : «En vérité, ça ne changera rien à la situation qui prévaut, c'est-à-dire ces milliards d'échanges de fichiers dits illicites.»

L'éditeur croit plutôt à cette lutte qui pourrait vraiment rapporter : la contribution des fournisseurs d'accès internet (FAI). «Or, depuis des années, des juges au Canada, aux États-Unis et en France ont déresponsabilisé les FAI, conduisant ainsi les ayants droit à chasser d'autres lapins...»

En cela, Daniel Lafrance évoque les poursuites malheureuses de la RIAA aux États-Unis, dont le nombre dépasse les 26 000. J'ajouterais personnellement une saveur locale à ces attaques qui ne freineront pas la tendance au téléchargement non autorisé: celle de l'ADISQ et de plusieurs entreprises culturelles (Musicor, Diffusion YFB, Zone3, TVA, etc.) contre le site www.quebectorrent.com qui vient de recevoir une pluie de mises en demeure. Que d'énergies perdues...

«La faute n'incombe pas aux internautes, pense Daniel Lafrance. La SOCAN avait visé juste, il y a plus de 10 ans, en ciblant les fournisseurs d'accès internet, au même titre que les radiodiffuseurs et les télédiffuseurs. À mon avis, la Cour suprême avait erré dans son jugement qui exonérait les FAI. Je crois fermement que l'industrie de la musique se remobilisera et leur demandera des comptes.»

En attendant, on peu se rabattre sur les tarifs du téléchargement légal... Payant? Après plus de sept ans de tentatives, il constitue plus ou moins 6 % des revenus de la musique enregistrée. Encore en 2007, les revenus des ventes de CD constituent plus de 90 % du chiffre d'affaires! Et puisque ce chiffre d'affaires a fondu de moitié depuis 1999, la croissance de la musique légale en ligne ne rapporte que des broutilles. «Personne ne pourra se contenter bien longtemps d'aussi peu», conclut Daniel Lafrance.

On doit lui donner raison.

Puisque la Toile est un univers impossible à réguler par voie contraignante, il faut voir dans les iTunes et autres modèles d'affaires des essais provisoires qui ne fonctionneront pas à long terme sauf pour des valeurs ajoutées aux produits qu'on téléchargera en ligne... sans payer directement. La valeur de la musique sera forcément comprise dans le prix de la connexion internet, dans le prix de vos droits de scolarité et/ou dans le prix des outils d'enregistrement, de lecture et de partage. Mais pour en arriver là, il faudra convaincre (ou obliger) les FAI et autres acteurs de la nouvelle économie de partager le butin. Ce n'est pas demain la veille, mais ça finira par se produire.