La loi sur le droit d'auteur est remise en question par son concepteur.

La loi sur le droit d'auteur est remise en question par son concepteur.

«C'est malheureux.»

Voilà la réaction de Bruce Lehman, qui fut à la tête des concepteurs du Digital Millenium Copyright Act (DMCA), cette loi actualisée sur le droit d'auteur (en 1998) ayant mené la Recording Industry Association of America (RIAA) à mener plus de 26 000 poursuites contre les internautes ayant téléchargé des fichiers de musique sans autorisation.

De passage à Montréal vendredi, ce célèbre avocat commentait la condamnation pour le moins spectaculaire de Jammie Thomas, mère seule âgée de 30 ans. Rappelons qu'un jury fédéral américain a ordonné à cette internaute du Minnesota de payer 222 000$ à six maisons de disques.

Sony BMG, Arista, Interscope, UMG, Capitol et la Warner l'accusaient d'avoir téléchargé des chansons sans autorisation et d'avoir partagé en ligne 1702 titres par l'intermédiaire d'un compte sur Kazaa. Refusant de se laisser intimider par l'industrie de la musique, Jammie Thomas a finalement été condamnée à verser 9250$ pour chacune des 24 chansons pour lesquelles les plaignants réclamaient des dommages. Voilà LE cas exemplaire fourni par la justice américaine en matière de piratage illégal de la musique.

On sent néanmoins la perplexité de Bruce Lehman sur ce jugement, bien qu'il le défende comme tout bon avocat désireux de respecter la loi malgré ses carences.

«Je ne crois pas à toute infraction au droit d'auteur. Cette femme a pris un risque en le violant, elle devra payer une très grosse somme - 222 000$, c'est beaucoup d'argent! Or, je constate que la loi sur le droit d'auteur numérisé aux États-Unis ne produit pas l'effet escompté, c'est-à-dire qu'elle ne renverse pas la tendance au partage non autorisé des fichiers numérisés.» Et paf.

«J'ai déjà cru sincèrement que les mesures proposées par le DMCA auraient incité l'industrie de la musique à s'épanouir dans un environnement numérique. Ça ne s'est pas produit. Les ventes de CD sont en déclin, le partage des fichiers musicaux n'a pas vraiment décliné. Alors le DMCA tel qu'adopté par le Congrès américain (et non pas celui proposé jadis par notre groupe de travail sur la propriété intellectuelle mis sur pied par l'administration Clinton), n'est probablement pas le meilleur modèle à suivre.» Et repaf.

À la tête de l'International Intellectual Property Institute, organisme établi à Washington, Bruce Lehman croit que le Canada pourrait apprendre de cette expérience américaine plutôt erratique. De quelle façon?

«Par exemple, soulève-t-il, le DMCA comprend une exemption destinée aux fournisseurs d'accès internet, donc exonère le conduit à travers lequel circule l'information. Sans la coopération des propriétaires de tuyaux, il devient alors très difficile de développer des modèles d'affaires viables, c'est-à-dire qui génèrent des revenus suffisants. C'est pourquoi l'industrie de la musique s'est mise à poursuivre les internautes qui téléchargent illégalement.»

Sans être très précis, Bruce Lehman indique quelques pistes de solutions.

«Le droit à rémunération est une avenue à explorer. Pour ce, il faut la collaboration des fournisseurs d'accès internet pour appliquer ce droit. Le régime de copie privée pourrait être une autre avenue... Le Canada, qui s'apprête à changer sa loi sur le droit d'auteur, devrait en tout cas s'inspirer de l'expérience américaine en mettant au point un système via lequel les modèles d'affaires puissent assurer le respect de la création.»