Après avoir cherché longtemps sous 45 degrés Celsius, nous trouvons enfin ce qui nous intéresse. Nous sommes à Shastri Park, en banlieue de Delhi. Une fois le dépotoir traversé, nous débouchons sur un quartier musulman aux allures de bidonville. Poursuivies par un nuage de mouches, nous nous perdons dans les ruelles étroites et animées, surtout d'hommes, où les canalisations à ciel ouvert laissent échapper une curieuse odeur.

Après avoir cherché longtemps sous 45 degrés Celsius, nous trouvons enfin ce qui nous intéresse. Nous sommes à Shastri Park, en banlieue de Delhi. Une fois le dépotoir traversé, nous débouchons sur un quartier musulman aux allures de bidonville. Poursuivies par un nuage de mouches, nous nous perdons dans les ruelles étroites et animées, surtout d'hommes, où les canalisations à ciel ouvert laissent échapper une curieuse odeur.

Lorsque l'on demande où l'on peut trouver des parties d'ordinateurs usagés, personne ne sait et certains nous encouragent même à faire un tour du côté Mayapuri, à deux heures en rickshaw d'où nous sommes... Mais en progressant dans la colonie, on découvre ce dont on nous a parlé. Des rangées de shops de quelques mètres carrés, cordées serré, remplies de tas de parties d'ordinateurs. Chacune compte deux ou trois individus, souvent des femmes et des enfants, affairés dans la pénombre poussiéreuse à décortiquer les matériaux. Ils savent que leur travail est illégal et on sent leur malaise en nous apercevant.

D'après nos informations, ici, toutes les parties d'un ordinateur sont passées au peigne fin. Lorsque l'on sait qu'un appareil contient au moins 50 produits hautement toxiques, tel le mercure ou le plomb, on s'étonne - à moitié - que les lunettes, les masques et les gants de protection soient absents du décor. Ces gens respirent les émanations du plastique qu'ils brûlent pour faire fondre les fils couvrant le cuivre ou l'or et, comme si rien n'était, rejettent sur le sol les puissants acides utilisés.

Ces travailleurs font partie des milliers de personnes au service d'une industrie en pleine essor, requérant peu d'investissement préalable, hyperorganisée et néanmoins totalement informelle : le recyclage des déchets électroniques, les biens de consommation fonctionnant à l'aide d'une batterie ou d'électricité dont plus personne ne veut. Delhi seulement, le plaque tournante du business en Inde, fait vivre entre 15 000 et 25 000 personnes, dont environ un quart sont employées à éplucher les ordinateurs.

Chaque année, quelque 146 180 tonnes de déchets électriques et électroniques sont générées en Inde, selon une étude d'IRG Systems South Asia. Un chiffre appelé à être multiplié par 11 d'ici 2012, d'après l'Electric Association of India. En effet, le scénario indien est très alarmant : 11 individus sur 1000 possédaient un ordinateur en 2004 ; les prévisions pour 2010 sont que le nombre de détenteurs montera en flèche pour atteindre près de 100 personnes sur 1000... Sans compter refrigérateurs, airs climatisés, téléphones portables, etc., trônant au haut de la liste d'achats des membres d'une classe moyenne émergeante.

Non contente de ce fardeau domestique, l'Inde importe à grande échelle les appareils désuets dont se débarrassent les nations riches. Car en dépit de législations naissantes régulant la collecte et le recyclage, Greenpeace estime que les pays en développement importent près de 50 % des déchets électroniques de l'Europe occidentale. Il y a trois ans, le marché global de l'industrie à l'origine des déchets électroniques valait 1,33 trillions d'euros, selon l'OCDE, soit 7,7 % du PIB mondial. Avec des changements technologiques qui rendent la dernière génération d'équipements high-tech rapidement obsolète et la chute des prix, si les gouvernements, l'industrie et les consommateurs demeurent gentiment passifs, les travailleurs de Shastri Park sont assurés d'avoir du pain sur la planche.

Une industrie illégale et bien rodée

Ravi Agarwal, directeur de Toxic Links, une ONG environnementale à Delhi, sonne l'alarme.

Q: Chaque année, des centaines de milliers de tonnes de déchets électroniques sont illégalement exportés vers l'Inde. Pourquoi ?

R: L'intérêt des pays industriels de rejeter illégalement leurs déchets dans des régions pauvres comme l'Inde, la Chine et l'Afrique est simple : aux États-Unis, par exemple, vous devrez payer 20 $ pour vous débarrasser d'un ordinateur, tandis que si vous l'envoyez en Inde, on vous l'achètera pour 10 ou 15 $ ; vous gagnez donc environ 35 $. Ici, récupérer les vieux ordinateurs permet la revente de tout ce qui peut être revendu et l'extraction de matériaux contenus dans les ordinateurs, tels l'or, le cuivre...

Q: Vous traquez la trajectoire des rebuts électroniques en provenance de l'Ouest depuis 15 ans. Comment le processus se passe-t-il ?

R: Le système est très bien rodé : les vieux appareils arrivent par bateaux, les papiers indiquant qu'ils proviennent de Dubai, et on les fait passer soit pour des ordinateurs de seconde main destinés à des organismes de charité, soit pour des métaux usagés, dont l'importation est autorisée en Inde. Une fois ici, des conteneurs entiers sont vendus et une série d'intermédiaires sont impliqués dans une chaîne de revente qui se termine avec les travailleurs qui, sans qualification aucune et pour un salaire de misère, sont chargés de démanteler et de disséquer les appareils usagés.

Q: Par rapport au problème grandissant que représentent les déchets électroniques domestiques, comment réagit l'industrie informatique indienne ?

R: Depuis quelques années, ils viennent aux meetings. Quand on leur dit qu'ils doivent reprendre leurs appareils usagés et utiliser des matériaux moins toxiques, ils écoutent, puis ils disent "Oui, oui". Mais ils ne bougent pas d'un poil. Ils n'ont rien à cirer de l'environnement ou de la santé des gens.

En revanche, ils ne veulent pas avoir une mauvaise image de leur marché. L'industrie informatique indienne est à la pointe de la technologie et paradoxalement, lorsqu'il s'agit de recycler, nous en sommes au Moyen-Âge. Ils ont assez de connaissances, d'expérience et d'argent pour trouver des solutions ; il leur manque la volonté.