Il s'est produit un petit événement historique, hier soir. Appelons ça la Première Grande victoire citoyenne de la blogosphère québécoise. Elle est survenue quand la SQ a admis que trois «manifestants» démasqués sur YouTube en marge du sommet de Montebello étaient bel et bien, en fait, trois de ses policiers.

Il s'est produit un petit événement historique, hier soir. Appelons ça la Première Grande victoire citoyenne de la blogosphère québécoise. Elle est survenue quand la SQ a admis que trois «manifestants» démasqués sur YouTube en marge du sommet de Montebello étaient bel et bien, en fait, trois de ses policiers.

Rappelons les faits, rocambolesques. Mardi, sur le web, commence à circuler une vidéo intrigante. Tournée à Montebello, alors que s'achevait le sommet Bush-Harper-Calderon, elle montre une chicane entre manifestants, dans le stationnement de la station-service du village, sur la 148.

On y voit Dave Coles, président du Syndicat canadien de l'énergie et du papier, engueuler trois manifestants masqués. Ces trois gars, visage caché par des foulards, vêtus de noir, ressemblent à ces casseurs qu'on voit dans toutes les manifs antimondialisation. Les sempiternels fauteurs de troubles. L'un d'eux tient une pierre.

La vidéo montre Coles, droit comme un chêne, enguirlander le trio. Derrière lui, un cordon policier formé d'agents de la SQ, en tenue de combat, muets et anonymes sous leurs casques. Coles, grisonnant, confronte les casseurs. «C'est notre ligne! Allez-vous-en! On ne veut pas de trouble!»

Coles traite les trois gars de pleutres. Il les somme de retirer leurs foulards, de manifester à visage découvert. Il tente d'arracher un des foulards. Coles est repoussé par le plus petit des trois militants. C'est la cacophonie. Ça s'invective. Ça s'insulte.

Puis, quelqu'un crie: «Ce sont des policiers!»

C'est à ce moment que la vidéo devient troublante. Les «militants» se mettent en file indienne, contre un mur, repoussant les syndiqués qui tentent de leur enlever leurs masques. Le premier type du Trio masqué, si on regarde attentivement la séquence, est penché à l'oreille d'un policer de l'antiémeute.

Ces gars-là, c'est clair, semblent vouloir être «arrêtés» par les flics.

Quelques secondes plus tard, les policiers de l'antiémeute agrippent le premier casseur. Puis le second. Les deux gars n'offrent pas la résistance à laquelle on est en droit de s'attendre de la part de militants-masqués-antimondialisation-qui-haïssent-la-police. Pas du tout. Le troisième «militant» entrera dans la brèche du cordon policier comme un type qui entre dans un Couche-Tard pour acheter une pinte de lait...

Les policiers, sur la vidéo, collent les trois supposés casseurs au sol. Leur passent les menottes. Les «arrêtent».

Fin de l'histoire? Non, l'histoire commence. Le SCEP diffuse l'extrait sur YouTube. Les blogues s'emparent de l'histoire, lui donnent de l'élan, posent des questions. Bref, la blogosphère, en multipliant les hyperliens vers le clip de YouTube, garde l'histoire vivante, gonfle sa rumeur, permettant aux suppositions et aux observations des blogueurs de champignonner comme des métastases.

Le «buzz» en provenance de la blogosphère, celle du Québec étant particulièrement tenace, est tellement fort que les médias traditionnels ne peuvent l'ignorer. Et la SQ a soudainement une grosse tumeur à gérer. Hier soir, la SQ, qui ne pouvait plus tenter de faire croire que la Terre est plate, a finalement admis que, oui, en effet, ces trois «manifestants» étaient bel et bien trois de ses agents.

Comme dirait Homer Simpson: Duh! Blogosphère: 1, Sûreté du Québec: 0...

La blogosphère a créé cette nouvelle. Ce ne sont pas les caméras de RDI ou de LCN qui ont capté la scène. C'est celle d'un citoyen. Ce sont des blogues qui y ont fait écho. Qui ont souligné que ces méchants casseurs semblaient drôlement pressés d'être «arrêtés» par les flics. C'est un non-journaliste qui a pris une photo des policiers de l'anti-émeute «maîtrisant» les «manifestants», derrière le cordon policier.

Photo qui montrait un truc fort curieux: les «manifestants» portaient tous trois les mêmes bottes, avec un petit truc jaune au milieu. Le hic, c'est que les flics de l'anti-émeute portaient les mêmes foutues bottes frappées du même foutu machin jaune. Méchant hasard: manifestants et flics magasinent au même Wal-Mart!

Aux États-Unis, la blogosphère est devenue un incontournable de la vie politique. Un acteur influent. YouTube et les blogues ont influencé - salement et durablement - l'actualité politique. Premier scalp: celui du vétéran newsman Dan Rather. En 2004, Rather, à 60 Minutes, présente un reportage-choc, «documents» à l'appui, sur les absences de George W. Bush dans la Garde nationale du Texas, pendant la guerre du Vietnam.

Sauf que ces «documents» sont bourrés d'anachronismes. CBS a été victime d'un canular. Et c'est la blogosphère américaine qui, la première, a découvert ces anachronismes dans les documents. Le «buzz», irrésistible, força les grands médias à s'attarder à l'histoire, jusque-là confinée au web...

Depuis, personne ne doute du pouvoir de la blogosphère, aux États-Unis.

Au Québec, la blogosphère n'avait pas encore de scalp fondateur. Depuis hier soir, elle l'a. Celui de la SQ, forcée d'admettre que les trois «manifestants» captés sur vidéo sont trois de ses policiers. Shocking.

Récemment, dans le New York Times, le chroniqueur Thomas Friedman notait que l'ascension des blogues et du web 2.0 forçait tout le monde, individus comme institutions, à adopter un comportement impeccable. Parce qu'au XXIe siècle, tout se sait, tout se voit, tout peut être révélé.

La SQ l'a appris, à Montebello.

Bien sûr, les flics ont le droit d'infiltrer des manifestations potentiellement hostiles. La SQ jure que ses agents ne provoquent cependant pas d'actes criminels, en incitant les manifestants à la violence, par exemple.

Donnons-lui le bénéfice du doute. Rien ne prouve le contraire.

Mais les bonzes de la SQ devraient prier pour que YouTube n'accouche pas demain d'un clip montrant un de ses trois bozos en train de lancer des roches, à Montebello.

Parce qu'au XXIe siècle, tout se sait, tout se voit, tout peut être révélé.