Depuis la création du premier casino virtuel en 1995, le nombre de sites de jeux de hasard a explosé sur Internet. Au Québec, les citoyens sont régulièrement invités à jouer à des casinos en ligne. Même si cette activité est illégale, l'inaction du gouvernement encourage de plus en plus d'adeptes.

Depuis la création du premier casino virtuel en 1995, le nombre de sites de jeux de hasard a explosé sur Internet. Au Québec, les citoyens sont régulièrement invités à jouer à des casinos en ligne. Même si cette activité est illégale, l'inaction du gouvernement encourage de plus en plus d'adeptes.

La semaine dernière, des dizaines de Lavallois qui n'avaient rien demandé ont reçu par la poste un cédérom leur offrant 200 $ de crédit pour jouer sur un site de casino virtuel. Si les États-Unis punissent sévèrement cette activité illégale, le Québec tarde à agir.

Les Lavallois qui ont inséré le disque dans leur ordinateur ont été dirigés sur le site de Platinum Play Casino. Black-jack, poker, roulette, machines à sous... Une fois inscrites, ces personnes ont pu s'amuser jusqu'à épuisement de leur crédit. Ensuite, elles ont été invitées à donner leur numéro de carte de crédit pour continuer.

Cette incitation à dépenser sur un casino virtuel a irrité un citoyen qui a alerté La Presse. «Je n'ai jamais demandé à recevoir ça. Je ne joue pas sur Internet. Comment a-t-on eu mes coordonnées?» demande l'homme qui préfère garder l'anonymat.

Selon l'adresse de retour inscrite sur l'enveloppe, le fameux CD a été envoyé du resto bar Au coin O'Brien, à Laval-Ouest. La Presse s'est rendue à trois reprises à cet endroit pour rencontrer le mystérieux donateur. Chaque fois, les lieux étaient déserts.

Cependant, cette sollicitation agressive a choqué les spécialistes du jeu pathologique. «Toute sollicitation est un danger pour les joueurs à problèmes. Ce genre de promotion peut être vue comme une tactique déloyale», critique Éric Tremblay, intervenant à la Maison Claude-Bilodeau pour joueurs compulsifs de Québec depuis six ans.

«Recevoir ce genre de crédit constitue une situation à risque pour les potentiels joueurs compulsifs. Ils peuvent être amenés vers leur dépendance», ajoute le psychologue Claude Boutin, du Centre québécois d'excellence pour la prévention et le traitement du jeu (CQEPTJ).

Selon une enquête menée conjointement par le CQEPTJ et l'Institut de la santé publique du Québec en 2002, entre 35 000 et 55 800 Québécois sont des joueurs pathologiques, soit environ 1 % de la population. «Très peu de personnes nous consultent uniquement pour un problème de jeu sur Internet. Mais les casinos virtuels contribuent au phénomène du jeu compulsif parce qu'ils sont très accessibles», commente Éric Tremblay.

Il est toutefois impossible de savoir combien de joueurs compulsifs utilisent uniquement Internet. Les joueurs pathologiques «jouent aux vidéopokers, aux casinos et aux jeux de hasard en ligne. On ne peut pas isoler les problèmes», explique le psychologue Claude Boutin.

La tête dans le sable

Gérer un site de casino virtuel est illégal au Québec. «Les seuls casinos légaux sont ceux gérés par le gouvernement, donc Loto-Québec. On peut distribuer des licences occasionnelles pour des foires ou des activités de levées de fond, mais c'est tout», affirme Johanne Marceau du ministère de la Justice du Québec.

Même s'ils sont illégaux, plus de 2000 casinos en ligne sont accessibles au Québec. Que ce soit par envois postaux ou par pourriels, la population est régulièrement invitée à y jouer. Pourtant, aucune arrestation d'exploitant de casino en ligne n'a encore eu lieu dans la province. Le ministère de la Sécurité publique et la Sûreté du Québec se défendent néanmoins de ne rien faire dans le dossier. La SQ dit mener des enquêtes, mais refuse de dire combien ont été complétées ou combien sont en cours.

Marie-Ève Bilodeau, du ministère de la Sécurité publique, explique qu'il est «très difficile de réunir des preuves dans ces dossiers». Pour se protéger des poursuites judiciaires, la plupart des casinos en ligne s'enregistrent dans des paradis fiscaux aux lois laxistes. D'autres entreprises utilisent des serveurs situés dans les réserves autochtones du Québec, où la SQ n'ose pas intervenir (voir texte intitulé : Zone grise juridique). Par exemple, le Platinum Play Casino est enregistré au Belize et est hébergé par les serveurs de la Mohawk Internet Technologies de Kahnawake.

«Si la compagnie est enregistrée aux îles Caïmans, que le serveur principal est aux États-Unis et que l'administrateur est au Québec, nous devons intervenir en collaboration avec les services de police de tous ces endroits. C'est très compliqué», affirme le lieutenant François Doré, de la Sûreté du Québec.

Pendant ce temps, les casinos en ligne prolifèrent. Les revenus de ces sites sont passés de 6,7 milliards en 2001 à environ 15 milliards aujourd'hui. Si rien n'est fait, ce chiffre pourrait atteindre 18 milliards en 2008, selon le Conseil du jeu responsable du Canada.

L'exemple américain

Les États-Unis ont longtemps été le marché le plus rentable au monde pour les casinos en ligne. Mais, en octobre dernier, le gouvernement américain a décidé de mettre fin à ce phénomène en adoptant une loi qui rend illégaux les sites de jeu en ligne. Depuis, les banques américaines n'ont plus le droit d'accepter les transactions vers des casinos virtuels. Les Américains ne peuvent donc plus utiliser leurs cartes de crédit pour jouer sur Internet. Certains États étudient même la possibilité d'engager des poursuites contre les joueurs eux-mêmes.

Les effets de ce changement législatif sont d'ailleurs visibles sur Internet. Sur le site de BetOnSports, un avertissement sur la page d'accueil mentionne que «les paris des joueurs américains ne sont plus acceptés car cela contrevient à la loi américaine».

Plutôt que d'interdire les casinos en ligne, d'autres pays ont décidé de superviser leur exploitation. «Les gouvernements de l'Australie et de l'Afrique du Sud ont, entre autres, décidé de distribuer eux-mêmes des licences aux casino en ligne. Ils en retirent ainsi des revenus d'État. Le Royaume-Uni le fera aussi sous peu. Le gouvernement émettra sa première licence de casino virtuel en septembre prochain», précise Michael D. Lipton, avocat torontois spécialisé dans le droit des jeux de hasard.

Selon lui, le Québec pourrait adopter ce modèle de gestion des casinos virtuels. «La Colombie-Britannique et les provinces maritimes le font déjà. Mais pour que le Québec en fasse autant, le gouvernement devra être prêt à convaincre la population, qui va voir dans ce geste un moyen de faire encore plus d'adeptes du jeu», commente Me Lipton.

Le jour où les Québécois pourront jouer au poker sur Internet avec la bénédiction du gouvernement est encore loin, promet Jean-Pierre Roy, de Loto-Québec. «Nous n'avons pas de projet en cours de ce côté-là», assure-t-il.

Et le jour où les exploitants de casino en ligne seront sévèrement punis est-il loin? Impossible de le savoir.